Les bateaux de Benoit
La mer, tu fus une eau cruelle qui engloutit dans
tes abysses tous les vaisseaux partis pour des courses lointaines. Enseignes du
Pount, peuples hardis de la mer, Vikings blonds aux cris rageurs, Ulysse ou Enée
en mal de terre de retour ou d’élection, caravelles avides d’Eldorado, fiers paquebots
transatlantiques, croiseurs ou destroyers, vous partîtes par le fond dans des
gouffres amers. Ce soir, 15 avril 2014 à 19h30 en l’atelier de Benoit, est jour
de Jugement dernier. Tous les bateaux baptisés ou non font retour de l’enfer
liquide où nous les croyions abîmés à tout jamais, qui des Bermudes effrayantes,
qui de Charybde et Scylla, qui des caps rugissants, ils cinglent vers nous en
un ahurissant et lugubre cortège. Silhouettes métaphoriques de bâtiments sans
nom, nous ne savons si une mer conceptuelle vous porte tous
indifféremment comme une vague, bouchons captifs ou vaisseaux fendant l’étrave
vers le port du dernier jugement sans appel. Quatre murs de l’atelier
suffisent à peine pour vous contenir tous qui faites route vers notre présent
avec vos fantômes à la proue sur une mer d’huile. Vous nous revenez de mémoire
en frémissants à-plats de noir et de rouge crus dans d’effarantes vibrations
bleue nuit, ocre et grisâtre. Cotres ou nefs d’aventure de fort ou de moyen tirant d’eau, votre ligne
de flottaison blême ne sait plus départir de ce qui est votre image liquide ou
votre structure réelle. Nous vous attendions de toute éternité, et vous
semblerez accoster à notre continent des certitudes de surface, nous sommes là
avec nos corps et nos affects ! Nous aurons ainsi aux lèvres la question
« Où allez-vous? », plutôt que
« D’où venez-vous? » Mais en ces terres nouvelles, nous ne
formulerons pas les « Cela va sans dire !»