mardi 12 mars 2013


L’ascenseur est tombé en panne comme d’habitude ! GERARD

MM Roux et Comballuzier je ne vous félicite pas, imaginez dans cet immeuble de grand standing, dégorgeant de marbres, quatre des occupants de niveau social élevé, de qualité morale époustouflante, prisonniers d’une machinerie infernale, entêtée à ne plus vouloir exécuter son office ! Nous sommes en 1923, et s’il est loisible de renvoyer un domestique après s’être défait sur lui de toutes nos invectives, que faire contre une machine qui s’en prend sournoisement à votre rang et à votre dignité et vous ferait manquer un souper fin ? Le progrès devrait tenir compte de l’étiquette et de la haute extraction de ces dignitaires de grandes familles à blason !!

La cage refermée et bloquée, la lumière s’était éteinte après un fracas de frottement crissant de pièces métalliques, et toutes les protestations pourtant formulées au subjonctif étaient inopérantes ; il n’était pas raisonnable d’espérer une intervention sur le champ de quelques préposés de basse  roture, non plus que de faire appel à ses gens ou à ses laquais munis de chaise à porteurs  afin de gravir les degrés de cet hôtel particulier; en désespoir de cause il fallait courber l’échine devant la technique et se constituer là, à huis clos, en micro société  car la concierge s’était absentée jusqu’au lendemain après avoir touché ses gages. Là étaient à leur corps défendant, Martin Duval, Mr Lan San, Ahmed ibn Ahmed et Madame de Muller et son caniche.

Mr Duval de la branche des Duval Champerret, maître en endormissement et lévitation, fut le premier à se résoudre à accepter le confinement en cet espace contraint pourvoyant une proximité inattendue et sans choix quant aux compagnons d’infortune qui pourrait mêler la roture au blason, voire à l’’étranger !!

Ignorant des mécanismes diaboliques de l’élévateur, Duval connaissait particulièrement les fonctionnalités du corps humain pour en apaiser les tensions et les angoisses, et notamment celles liées à cet espace réduit et sans échéance de sortie connue. Il dispensait ses paroles de soin afin de réguler les souffles et la consommation d’air.

Mais le caniche de Mme de Muller ne supportait pas Mr Duval, question de phéromone sans doute ? Mme de Muller feignit l’évanouissement et ne cessait de gémir, tout cela afin de mettre à profit l’assistance comme un auditoire inespéré. Et de son cabas dépassaient deux baguettes de pain, du lait et des croquettes. Mr Ahmed resté stoïque et silencieux jusqu’alors crut bon d’informer l’assemblée qu’il ne pourrait se rendre à son activité nocturne dont il ne précisa pas la nature ; il vitupérait et invectivait maintenant des responsables imaginaires, mais il offrit sa gamelle en partage  comme le font les bédouins du désert qui se fient à Dieu mais font aussi confiance aux Hommes.

Quant à Mr Lan San, il conserva cette passivité asiatique et alluma ses lanternes chinoises et donna une atmosphère de jour de l’an en cette année du rat ! D’ailleurs ils étaient faits comme des rats alors autant les honorer.

Chacun rogna sur l’accomplissement de ses désirs et besoins propres  afin d’adopter une position moyenne  et vivable à long terme. Mr Duval récitait des mantras mais il ne parvint pas à endormir ni à apaiser son entourage de promiscuité, et soudain il se mit à léviter à son corps défendant laissant ainsi de l’espace disponible pour le trio d’irréductibles terriens.

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