vendredi 12 avril 2013


Mardi 9 avril 2013, Décrire un itinéraire

1-Version 1 : Ce mardi soir tirait à son crépuscule où l’appel de l’atelier d’écriture se muait en une invite feutrée ; un contrepoint de l’agitation d’une population active en migration vers ses points de fixation, ses lieux de repos et de ressourcement.

Ta tête bourdonnait de la sarabande de mots impatients dans ta mémoire !! Pense donc, des mots parqués depuis deux semaines dans ta mémoire, gorgés de sens et d’images, en attente de combinaisons, de mariages, de déclinaisons, d’appositions, de métaphores, de synonymes, d’antonymes et même de contresens !!Leur champ d’évolution n’avait qu’à bien se tenir, syntaxe, grammaire, conjugaison, en somme leur code de la route à eux !!

Tu pousses l’allure de ta bicyclette sur la bande roulante dédiée, la vélocité de tes jarrets traduit ton urgence à envoyer tes mots faire du sens, faire du langage, te dire avant de communiquer avec l’autre du cercle de l’atelier. Dans un bruit de ferraille, le tram te croise en exhibant ses slogans anglais !! Les bras de la foule comme un sang dans les artères de la ville, sont chargés de victuailles du soir ; tu vois le policier municipal intercepter un scootériste, « Vos papiers », il te le verbalise facile mais il ne sait pas « verbaliser, car il n’a même pas utilisé un verbe d’action ; et tu le vois coucher ses graphies velléitaires sur un papillon à la couleur verte de l’espérance !

Tu vois, certains ne rentrent pas chez eux, non, ils gagnent leur havre de mots, ils ne semblent pas habiter l’Alsace mais habiter une langue. Tu avances dans cette allée majestueuse de la Neue Stadt du Boulevard de la Victoire, un décor impérial où tu avances la tête haute et le front levé ! Ton attitude jure avec l’agitation ambiante de la foule industrieuse exécutant le dernier déplacement du jour. Avenue Alsace –Lorraine, tu prends à bras-le-corps ce langage dont tu égratigneras avec fébrilité le Velin de tes papiers ; ces mots dont tu as hérité à la suite d’innombrables passages de bras au cours des siècles précédents ; tu voudrais bien revenir à cet état de nature lorsque le langage n’existait pas encore et conformer le monde à ta guise en lui imposant ton signifiant et en donnant ta réalité à ton environnement, mais c’est une utopie ! Alors plus modestement tu te contentes d’une langue qui existe déjà, tu uses d’une syntaxe que tu n’as pas choisie mais qui se révèle être la même pour tous les participants du collectif de l’atelier d’écriture ; tu sais que tu ne pourras pas dire toute la complexité de la réalité que tu perçois, tu voudrais dire cette fleur perçue à telle heure, à tel endroit, toute sa réalité diverse avant qu’elle ne soit nommée, puis tu te résignes à user de l’abstraction commune et tu l’appelles simplement fleur, ce nom ne traduira pas ce que tu as vu mais tu te feras comprendre des autres. Tu auras réussi à te dire toi-même, et ta motivation à dire et à écrire viendra de ta prise de conscience de toi-même dans l’environnement qui te fut donné.

2*-Version 2 : Mardi soir sonne l’heure de l’atelier d’écriture, un rituel de l’achèvement du jour, un appel à ton imaginaire, à ta créativité, à te payer de mots en stock dans ta mémoire, mots que tu convoqueras et enverras dans les labyrinthes de la syntaxe.

Le ciel est discontinu que tu laisses dans ton dos, un rideau de scène couleur d’encre d’où le soleil avait éclos ce matin. Ta bicyclette est parée que tu pousses en moulinets de jambes volontaires parmi la foule du soir gagnant ses attaches après une fructueuse journée, ou un jour d’errance inutile de plus en ce bas monde. Les allures sont pressées, le respect des règles de circulation est aléatoire, le but ultime est de rentrer chez soi quand toi tu gagnes ton havre du mardi, ton pays de mots car ta patrie c’est la langue qui n’a pas de géographie.

L’allée du Boulevard de la Victoire t’offre un décor impérial où tu avances la tête haute et à ton avantage, sans précipitation, en désaccord avec les fourmis industrieuses agitées dans un mouvement brownien du soir et impatientes de se poser au logis où dort leur reine. Mais toi ton regard s’arrête sur toutes choses dont tu feras ton miel à déposer dans la cire de ton histoire, des mots pour l’hiver du sens où tout foutra le camp ; alors tu pourras rebâtir ce monde écroulé et qui t’échappes, tu courberas l’Ill à ta convenance qui taillera ses rives comme elle  voudra dans le paysage urbain, un sens nouveau éclora pour toi dans ce monde que tu auras plié à façon au bon plaisir de ton imaginaire.

3-description à la manière de Michel Butor

Le kibboutz de Beit Alpha, rien à dire, un idéal socialiste au pays de la Bible, le Jourdain tranquille achevant sa course dans le lac de Tibériade où s’ébattent les poissons de Saint-Pierre au pays d’Eretz Israël. Pays de frontière jouxtant la Jordanie, bombes explosant dans les poubelles à l’heure de la sortie des écoles à Beit Shean,  infiltrations palestiniennes dans leur ancien territoire par le pont Allenby.

Communauté, égalité, ennui dans le kibboutz, enfants socialisés de force après arrachement à leur cellule familiale, petits arrangements de ces idéalistes communautaires avec la morale, avec la vertu, avec les principes, en un mot retour du refoulé de l’humanité éternelle et ambiguë, l’Homme nouveau n’est pas encore advenu dans cette terre de grand promesse.

Commémoration des morts de 1973, chandelier à sept branches matérialisé sur la colline par les enfants brandissant des torches. Rumeurs de Jéricho toute proche aux trompettes mal embouchées. Mosaïque de la population du Kibboutz où les fondateurs se mêlent aux volontaires d’innombrables pays, venus chercher ici les traces de l’idéal que l’on croyait forclos ; pouvait-on envisager encore des idéaux après la Shoah ? La loi mosaïque n’a pas été abolie, la Genèse de l’éternel est bien ici même si on pressent partout la mort pour origine ; on vit ici de naître dans la mort, ici où l’envie de chercher un coupable rencontre le désir juif d’être coupable ; tu viens ici parce que tu es errant, pour venir quêter ce que tu ne sais pas de toi-même quitte à tomber dans le vertige des origines, dans un improbable lien intergénérationnel du sang ; attention les défunts vont ressurgir d’entre les morts sous forme de vampires qui laisseront des masses de victimes exsangues sans cependant faire le point sur leur non-vie !! Quitte donc cette terre car l’éternité est pire que la mort. Mais ce qui est beau c’est l’environnement de Jérusalem, Jérusalem a le plus bel environnement du monde et pour cela il ne faut pas le manquer, alors pèlerinez et pérégrinez sans modération et faites-en sept fois le tour comme on le fit autour de Jéricho et vous verrez bien !!

mardi 9 avril 2013

Upper West Side

Upper West Side, rien à dire, seulement la quiétude chaleureuse d'un portail vers la Nature au pays des écureuils. De part et d'autre des trottoirs, des poignées de marches menant aux façades de briques rouges et de colonnes blanches. Cette ambiance confortable, cette douceur de vivre à quelques pas du trognon palpitant de la ville. Cette beauté princière sans mépris ni esbroufe, conduisant pas à pas au grand poumon vert. Ici, les allées sont parcourues de joggeurs, cyclistes et cavaliers, et de grignoteurs de noisettes roux et noirs, aussi nombreux  que les arbres.

Estelle Rousselot

mercredi 3 avril 2013


Mercredi 26 mars 2013, une inconnue dans le hall d’entrée de l’immeuble.

Le hall d’entrée magnifié par les marbres et les éclairages indirects, étalait ses plantes « alibi » qui transpiraient le synthétique. Ieu de passage, de transit, personne n’y stationnait s’il n’avait une plainte à formuler, une confidence à avouer à la concierge, factotum et réceptacle des lamentations ; on frappait à sa vitre comme au toque à la porte du diable, elle surgissait toujours irritée par ces dérangements intempestifs, elle ne supportait pas cet état de domesticité qui n’engageait pas à lui  donner du « Madame », elle existait uniquement comme facteur de résolution de problème, d’encausticage et de lustrage, tout devait briller mais elle ne devait pas briller par son absence ! Elle était témoin des vies, et vous parlez d’un scénario banal à pleurer, « ça naît, ça vit, ça meurt, ça se remplace et ça recommence !! » pensa-t-elle, en son fors intérieur. Ce jour du dimanche des rameaux où Jésus marchait sur Jérusalem, tous pensaient qu’il était allé au casse-pipe mais en réalité il était un prophète juif rebelle parti conquérir le pouvoir terrestre et le pouvoir céleste, pas moins !! L’ascenseur social quoi !

Afin de faire mentir la théorie du lieu de passage et de transit du hall d’entrée, alors que d’aucuns étaient allés faire bénir des rameaux dans les églises aux diverses confessions, une dame stationna, oui je dis bien, stationna, bien mise parmi les marbres. Elle n’était pas d’ici, elle sentait l’ailleurs, le dehors quoi ! Elle portait un fichu de soie grège en serre-tête noué sous son double menton, et un ample par-dessus de gabardine. Elle avait le regard fixe et la volonté toute braquée sur une photographie  de type anthropométrique, vous savez de celle des condamnés recherchés !

Un examen attentif permit à la concierge de reconnaître le Shah d’Iran, Reza Palhavi lui-même s’il vous plaît ! Un grand de Perse que les mollahs avaient chassé de son pays avec sa Farah Dhiba !! D’ailleurs ne disait-on pas qu’en Iran il n’y avait plus un shah ?

Etait-elle un agent de la police politique, la Savak, une tortionnaire an quête de victimes ou d’exilés affublés de faux noms ? Mais dites, ce Shah dans cet immeuble pensa-t-elle, lorsque soudain un crissement de molettes et de roulettes résonna sur les degrés de l’escalier monumental, un jouet, une souris en métal avec un mince lacet en guise de queue, montée sur des roulettes pouvant se remonter avec une clé plate ! Le mécanisme s’était tout soudain remis en marche, et notre enquêtrice sourcilleuse sourit, il ne devait pas y avoir de shah dans l’immeuble, ni shah persan ni autres, une souris dansant dans l’escalier, fut-elle de méta,l présageait qu’il ne devait pas y avoir de chat ici.