Mardi 9 avril 2013,
Décrire un itinéraire
1-Version 1 :
Ce mardi soir tirait à son crépuscule où l’appel de l’atelier d’écriture se
muait en une invite feutrée ; un contrepoint de l’agitation d’une
population active en migration vers ses points de fixation, ses lieux de repos
et de ressourcement.
Ta tête bourdonnait de la sarabande de mots impatients dans
ta mémoire !! Pense donc, des mots parqués depuis deux semaines dans ta
mémoire, gorgés de sens et d’images, en attente de combinaisons, de mariages,
de déclinaisons, d’appositions, de métaphores, de synonymes, d’antonymes et
même de contresens !!Leur champ d’évolution n’avait qu’à bien se tenir,
syntaxe, grammaire, conjugaison, en somme leur code de la route à eux !!
Tu pousses l’allure de ta bicyclette sur la bande roulante
dédiée, la vélocité de tes jarrets traduit ton urgence à envoyer tes mots faire
du sens, faire du langage, te dire avant de communiquer avec l’autre du cercle
de l’atelier. Dans un bruit de ferraille, le tram te croise en exhibant ses slogans
anglais !! Les bras de la foule comme un sang dans les artères de la
ville, sont chargés de victuailles du soir ; tu vois le policier municipal
intercepter un scootériste, « Vos papiers », il te le verbalise facile
mais il ne sait pas « verbaliser, car il n’a même pas utilisé un verbe
d’action ; et tu le vois coucher ses graphies velléitaires sur un papillon
à la couleur verte de l’espérance !
Tu vois, certains ne rentrent pas chez eux, non, ils gagnent
leur havre de mots, ils ne semblent pas habiter l’Alsace mais habiter une
langue. Tu avances dans cette allée majestueuse de la Neue Stadt du Boulevard
de la Victoire, un décor impérial où tu avances la tête haute et le front
levé ! Ton attitude jure avec l’agitation ambiante de la foule
industrieuse exécutant le dernier déplacement du jour. Avenue Alsace –Lorraine,
tu prends à bras-le-corps ce langage dont tu égratigneras avec fébrilité le
Velin de tes papiers ; ces mots dont tu as hérité à la suite d’innombrables
passages de bras au cours des siècles précédents ; tu voudrais bien
revenir à cet état de nature lorsque le langage n’existait pas encore et
conformer le monde à ta guise en lui imposant ton signifiant et en donnant ta
réalité à ton environnement, mais c’est une utopie ! Alors plus
modestement tu te contentes d’une langue qui existe déjà, tu uses d’une syntaxe
que tu n’as pas choisie mais qui se révèle être la même pour tous les
participants du collectif de l’atelier d’écriture ; tu sais que tu ne
pourras pas dire toute la complexité de la réalité que tu perçois, tu voudrais
dire cette fleur perçue à telle heure, à tel endroit, toute sa réalité diverse
avant qu’elle ne soit nommée, puis tu te résignes à user de l’abstraction
commune et tu l’appelles simplement fleur, ce nom ne traduira pas ce que tu as
vu mais tu te feras comprendre des autres. Tu auras réussi à te dire toi-même,
et ta motivation à dire et à écrire viendra de ta prise de conscience de
toi-même dans l’environnement qui te fut donné.
2*-Version 2 :
Mardi soir sonne l’heure de l’atelier d’écriture, un rituel de l’achèvement du
jour, un appel à ton imaginaire, à ta créativité, à te payer de mots en stock
dans ta mémoire, mots que tu convoqueras et enverras dans les labyrinthes de la
syntaxe.
Le ciel est discontinu que tu laisses dans ton dos, un
rideau de scène couleur d’encre d’où le soleil avait éclos ce matin. Ta
bicyclette est parée que tu pousses en moulinets de jambes volontaires parmi la
foule du soir gagnant ses attaches après une fructueuse journée, ou un jour
d’errance inutile de plus en ce bas monde. Les allures sont pressées, le
respect des règles de circulation est aléatoire, le but ultime est de rentrer
chez soi quand toi tu gagnes ton havre du mardi, ton pays de mots car ta patrie
c’est la langue qui n’a pas de géographie.
L’allée du Boulevard de la Victoire t’offre un décor
impérial où tu avances la tête haute et à ton avantage, sans précipitation, en
désaccord avec les fourmis industrieuses agitées dans un mouvement brownien du soir
et impatientes de se poser au logis où dort leur reine. Mais toi ton regard
s’arrête sur toutes choses dont tu feras ton miel à déposer dans la cire de ton
histoire, des mots pour l’hiver du sens où tout foutra le camp ; alors tu
pourras rebâtir ce monde écroulé et qui t’échappes, tu courberas l’Ill à ta
convenance qui taillera ses rives comme elle
voudra dans le paysage urbain, un sens nouveau éclora pour toi dans ce
monde que tu auras plié à façon au bon plaisir de ton imaginaire.
3-description à la
manière de Michel Butor
Le kibboutz de Beit Alpha, rien à dire, un idéal socialiste
au pays de la Bible, le Jourdain tranquille achevant sa course dans le lac de
Tibériade où s’ébattent les poissons de Saint-Pierre au pays d’Eretz Israël.
Pays de frontière jouxtant la Jordanie, bombes explosant dans les poubelles à
l’heure de la sortie des écoles à Beit Shean,
infiltrations palestiniennes dans leur ancien territoire par le pont
Allenby.
Communauté, égalité, ennui dans le kibboutz, enfants
socialisés de force après arrachement à leur cellule familiale, petits
arrangements de ces idéalistes communautaires avec la morale, avec la vertu,
avec les principes, en un mot retour du refoulé de l’humanité éternelle et
ambiguë, l’Homme nouveau n’est pas encore advenu dans cette terre de grand
promesse.
Commémoration des morts de 1973, chandelier à sept branches
matérialisé sur la colline par les enfants brandissant des torches. Rumeurs de
Jéricho toute proche aux trompettes mal embouchées. Mosaïque de la population du
Kibboutz où les fondateurs se mêlent aux volontaires d’innombrables pays, venus
chercher ici les traces de l’idéal que l’on croyait forclos ; pouvait-on
envisager encore des idéaux après la Shoah ? La loi mosaïque n’a pas été
abolie, la Genèse de l’éternel est bien ici même si on pressent partout la mort
pour origine ; on vit ici de naître dans la mort, ici où l’envie de
chercher un coupable rencontre le désir juif d’être coupable ; tu viens
ici parce que tu es errant, pour venir quêter ce que tu ne sais pas de toi-même
quitte à tomber dans le vertige des origines, dans un improbable lien
intergénérationnel du sang ; attention les défunts vont ressurgir d’entre
les morts sous forme de vampires qui laisseront des masses de victimes
exsangues sans cependant faire le point sur leur non-vie !! Quitte donc
cette terre car l’éternité est pire que la mort. Mais ce qui est beau c’est
l’environnement de Jérusalem, Jérusalem a le plus bel environnement du monde et
pour cela il ne faut pas le manquer, alors pèlerinez et pérégrinez sans
modération et faites-en sept fois le tour comme on le fit autour de
Jéricho et vous verrez bien !!