Je vivais dans un bosquet d’eucalyptus qu’une brise côtière berçait inlassablement. Du feuillage bleuté filtrait une ombre légère qui jouait sur les troncs bigarrés et les flaques d’un marigot, en contrebas. La maison était au milieu des arbres, près de la plage. Dans la pièce principale, les jalousies restaient ouvertes à longueur de journée. Aussi y respirait-on à toute heure l’air du dehors, parfois agrémenté du parfum d’une maîtresse.
A l’époque des mangues, des effluves sucrés embaumaient le voisinage pendant des semaines. Puis, des fruits trop mûrs accumulés au sol, montaient des remugles qui, en bouffées âcres, pénétraient chaque logis à l’entour. Le reste de l’année, selon la météo, les vapeurs iodées venues de la mer apportaient les messages capricieux de la houle et du ressac. Elles glissaient ensuite jusqu’au village.
Parfois, quand les mouvements de l’air s’apaisaient un peu, sortaient de la brousse des relents d’humus et de sèves étranges qui enveloppaient la maison, la transformant alors en un cellier odorant et multiple. Mais lorsque, las de voir s’accumuler depuis des mois feuilles et brindilles tombées des houppiers, je faisais un grand feu, alors pendant des jours les murs se trouvaient imprégnés d’une délicate odeur de camphre qui, je ne sais par quelle alchimie, suffisait à mon bien-être.
Certaines nuits, quand la brise tournait au sud, des écharpes parfumées s’échappaient des frangipaniers du parc tout proche, franchissaient les cépées de bambous et venaient, à travers le climatiseur ronronnant de ma chambre, me sortir du sommeil pour me conter de vieilles histoires d’aventuriers et de métives, avant de disparaître comme on referme un livre. Hanté d’images lascives, je ne pouvais me rendormir. Je me levais, allais m’asseoir à mon bureau où, selon mon humeur, je reprenais une lecture interrompue la veille, ou approfondissais, pour tuer le temps, un cours que je devais donner les jours suivants.
Quelquefois, le samedi, des fumets engageants me parvenaient par vagues. Je savais alors que ma voisine s’était installée sur sa terrasse pour cuisiner plus confortablement. De loin, je la voyais s’agiter derrière son pilon et, tout en admirant l’harmonie de ses formes qu’un pagne noué à la va-vite dissimulait à peine, je tendais mes narines au zéphyr pour identifier le plat traditionnel qu’apprécieraient ses invités du lendemain.
Après chaque averse lourde de la saison des pluies, la terre exhalait mille parfums inconnus. Peu à peu des haleines chaudes d’encens prenaient le dessus. Enivré comme dans une cathédrale, je devenais alors officiant et m’installais face à l’autel du salon où, célébrant l’éclatante lumière retrouvée, je consacrais du regard une offrande irlandaise étincelante. J’élevais le flacon à hauteur de mon front pour mieux y capter la clarté des rayons neufs puis portais humblement à mes lèvres le breuvage ambré qui, dans le tintement des glaçons, coulait en petites gorgées espacées. Alors, venaient s’ajouter à cette fête des odeurs celles du malt et de la tourbe dans une sorte de communion des sens qui m’appelait vers d’autres univers.