Si quelqu’un
s’était avisé de demander à Dora le soir de son vingt-cinquième anniversaire de
choisir un mot pour qualifier sa vie, celle-ci aurait répondu sans hésiter
« achevée ».
Mais aucun des
abonnés auquel Dora indiquait sa place et déchirait son billet n’aurait pensé à
lui poser une telle question. Bien sûr, l’un ou l’autre de ces messieurs,
regard balayant silhouette et formes, arrêt marqué aux fesses et à la poitrine,
discrets car au bras de Madame, avait bien remarqué sa beauté. Une beauté
déplacée dans cet uniforme ajusté et juchée sur talons, se fondant pourtant si
rapidement dans l’obscurité de la salle de spectacle.
Si quelqu’un
s’était avisé de regarder Dora au plus fort de la pièce, il aurait remarqué
cette femme perdue dans ses pensées, et la mélancolie de ses traits.
Dans le joyeux
tintamarre des sorties de théâtre, parfois un de ces messieurs revenait, Madame
déposée, certains plusieurs soirs, et l’emmenait boire un verre, ou deux, et
chaque jour plus encore. Chaque jour plus encore pour supporter leurs corps,
leurs ventres et leur bonne conscience. Et supporter cette attente, ces heures
où d’autres qu’elle sont éclairées de mille feux sur scène, d’autres qui sont
venues comme elle de leurs villes de province, d’autres qui ont réussi pour
quelques minutes ou quelques heures à échapper à leur destin. Alors Johnny ou Oscar, ce soir, après tout, quelle importance.