vendredi 29 mai 2015

La baigneuse absente

Absente et nue dans son habit de bain,
elle se révèle toute entière dans sa lumière…
Elle est femme… et son habit,
il est de couleurs, de fleurs et d'étés…
Son habit, elle aimait le faire vivre.
Elle aimait s'y installer et de là
elle méditait la mer, elle méditait le ciel.
Elle essayait de donner un nom aux transparences
et aux odeurs…
Un nom pour chaque vent,
un vent caresse ou cet autre, furie,
brulures du sud ou puissance de l'ouest,
souffle des matins et tiédeurs du soir…

Maintenant,
très loin, c'est son horizon,
très loin, elle dessine une ligne,
elle y vit le ciel en même temps que la mer,
elle se voit funambule,
elle marche et court jusqu'à son ile,
elle danse jusqu'à l'invisible…

Elle a vu disparaître l'astre de son jour,
elle espère les clartés de la nuit.

Benoît DECQUE

Où maintenant? Où?

Le peintre, ses couleurs, ses pinceaux, sa toile… blanche! … une interrogation… non pas "le comment peindre?" ça… il le sait et il le sait depuis longtemps… une interrogation, une vraie… "le quoi peindre?"… le sujet? il le sait aussi le sujet, il n'est pour lui qu'un prétexte, qu'importe le sujet… son travail, celui qu'il aime, disposer des couleurs sur la toile, toutes ces taches, ces surfaces, organiser ça… une lutte, peu importe le sujet, les unes les autres, les unes contre les autres, avec les autres… une vraie bagarre, le voilà dans cette bagarre, engagé, une couleur, pas de préméditation, l'instant, une autre couleur, pas de préalable, il sait qu'à partir de maintenant tout compte, sa toile, elle se remplit, une trace, une autre, courbes, courbes et contre-courbes, il commence un voyage, la destination? cette couleur… cette transparence… une surcharge, une forme, sa générosité, la contre-forme… une lumière maintenant, l'ombre la révèle… le fond… il ne l'oublie pas, n'oublie pas les limites… il en est où? le passage d'une surface à une autre?… maintenant il y a quelque chose qui palpite, une présence peut-être, un signe de vie… pourtant rien n'est en place, rien n'est dit… absence… absence pour une présence… le peintre, un pas, un recul… la femme n'est pas là, elle est là et il s'en étonne, cet habit, tout en couleur, cet habit, tout en été, cet habit, il est de bain, il est comme une mue, une peau qui dit la femme, cet habit… il est là silencieux et il est un rire, cet habit… il est là immobile et il est une danse, il est là et il dit la vie, il dit la baigneuse et il dit la femme… le peintre, ses couleurs, ses pinceaux, sa toile… il s'interroge… baigneuse? oui baigneuse? où baigneuse? où maintenant? où?

Benoît DECQUE, le 26 mai 2015

En l'absence de… elle

Des maillots vides
                en l'absence de
son corps               elle
jetés la comme
chiffonnés
colorés vifs
pas laissés gentiment sur le bord du lit
ou en boule dans un sac de piscine
non,
des maillots comme ils étaient
portés
par un corps
qui n'est plus là
une lumière maintenant dedans
leur donne forme
vie intérieure

Claudine Jehlen  
d'après les maillots peints de Benoît Decque
Décembre 2014

Ligne d’eau

La ligne comme se brouille Quant aux yeux arrive une larme
Une larme comme une vague
Enfle au bord des cils
Voici la ligne qui s’agite, qui ondule
La mer intranquille
Sa lame qui avance et reflue
S’étire et s’agrandit
A marée montante l’œil
plein
d’elle
Qui brouille le paysage
L’image se trouble et le maillot
gribouillé d’encres a les couleurs
qui bavent
A marée basse elle s’échappe
se laisse rouler le long des joues
Et la ligne revient, l’horizon bien net
le ciel à nouveau clair, les ombres franches
la lumière du midi

Claudine Jehlen, le 26 mai 2015
Série « Les baigneuses absentes » de Benoît Decque - acrylique sur papier, 2015

Où l’on doit s’intéresser aux parties du corps que ne dérobe pas le maillot de bain…

Où l’on doit s’intéresser aux parties du corps que ne dérobe pas le maillot de bain, et commandent le soin de l’onction  de l’huile qui coule sur lui comme glisse le temps des horloges molles de Salvador Dali. Un genre d’ode à l’huile solaire !
 L’été est intolérable, il ouvre sur l’abîme, il promet des lointains et des ailleurs quand je préfère l’ « ici » le plus beau des palindromes qui soit. Comment aller dans l’été si souvent désiré et nommé que je ne peux pas  y voir plus de réalité que dans une  légende !
Je veux être, pour un mois, mon propre régisseur et imaginer ma vie comme mon spectacle, quand délivré du labeur, je vais prendre le temps de penser à moi et de jouer, en acteur-titre, les scènes d’un acte majeur. Enfin, ne plus être surmené et cingler vers la liberté, quand ironie du paradoxe, mon propre temps a changé de valeur, et soudain il m’apparaît morne, insensé parce que j’en dispose ! Pour ma sérénité, voilà que je n’aspire plus qu’au retour rapide de ce temps mesuré, contraint, ce temps de la société du spectacle et du travail où je ne monte même pas sur la scène.
L’été. O saison dangereuse toute auréolée de ton prestige de temps qu’il fait plus que de temps qui passe, prodigue en tes cadeaux et tes promesses de l’espoir de me faire comprendre une attente, une attente semblable à celle de millions de migrateurs qui n’est que le miroir de la mienne. 
Un prurit migratoire déchire ma peau qui appelle le soleil pour la         tanner comme celle d’un païen taraudé  par une espèce de plaisir sauvage qui serait indemne de tout christianisme.
Je veux être oint de cette huile qui déperlera sur mon front puis versera des deux bords sur mon torse et mon dos, en vaguelettes lourdes.
Ah ! Ma peau, quand l’âge me devient un préjudice, moi, qui traîne tant d’années prises au temps comme un douloureux cortège ! Pourtant, je crois avancer vers ma destinée et je me fane sur mes épreuves et mes échecs. Je suis de la cohorte de ceux qui ont parfois le souci de leur bonheur plus que les qualités pour le faire.
Je veux cette huile de vacance qui suintera en filets ténus dans les rouages du temps objectif qui entraîne dans ses cardans mon temps conscient, bien piètre psychologie !
Cela me préserve de la fureur du ressentiment et de la blessure qui s’ouvre comme une brèche face au temps qui passe, entre ce que j’aurais voulu de l’été et ce qu’il m’a octroyé. Mon élan initial est rapidement doublé d’une lassitude douloureuse, profonde, irrémédiable, qui mange la lueur résiduelle dans mon regard éloigné.  L’été s’achève et me laisse avec mes fantômes d’épouvante qui m’encerclent à la fin de l’aventure.
Vanité du temps cyclique qu’aucune burette d’aucune huile ne viendra adoucir ! Rien qui jouera le grain de sable dans la fuite éperdue des jours. Tiens ! Un peu de la plage est resté collé au col du flacon d’huile que je range à l’automne venue. Voilà que j’apprends à regretter, voici que vient la nostalgie qui voit grossir  le chagrin comme un fleuve en crue.
Le temps qu’il a fait a laissé le temps qui a passé et emporté ma jeunesse et quelqu’un de mes proches ; me restera le souvenir de toute la jalousie nécessaire qu’il nous fallut au partage secret d’une tendresse qui nous a comblés et tracée comme un sillon dans l’histoire.

Gérard Chabane, le 26 mai 2015

 

Les maillots‏

Un mur de maillots de bain ,tous vides,vides de corps . Et pourtant,comme en lévitation, ils vibrent de chair et de souffle.
Juste à l'instant ,on les a quittés .Encore tout frémissants de cette absence ils compensent les postures par des éclats de couleurs.
J'hésite ...Dans quel maillot vais-je me couler ?
Le sulfureux ? Le sage ? L'exotique ?
Enfin des maillots pour mon popotin rebondi  . Et puis regardez ! des baleines,d'un autre temps ,fastueuses et généreuses !
Le maillot parme, reflets roses , pour attirer les méduses et me laisser médusée.
Le vert à spirales , tourbillon d'eau pour m'aspirer .
Le violet sombre pour les nuits paquebot .
Pas que belle cette journée toutes voiles dehors ... Elle tenait le mât d'une main ,genre pin up des années 50 ,un pied légèrement pointé ,l'autre main sur une hanche veloutée ;
Un léger coup de vent et le maillot couleur écume flotta encore quelques instants vide du corps de la femme .
Puis plus rien : le châtiment de la nuit des méduses.

Marie-Rose Metz, le 26 mai 2015

Conversation entre maillots‏

Quatre maillots sur un mur blanc discutaient de leurs souvenirs. De leurs plongées, de leurs envols, de leur repos sur les draps de bain. Les maillots comparaient le chant de leurs couleurs, le galbe de leurs formes, l’échancrure de leurs décolletés.
Le premier était fier de son teint d’arc-en-ciel : en lui se conjuguaient le vert de l’océan, le rouge du désir, le doré du soleil. Il avait traversé des plages de lumière et dansait l’infini.
Le second, plus timide, osait à peine sourire. Dans ses teintes pastel, on pouvait voir un sein tendu vers l’inconnu, un sein plein de tendresse et prompt à se cacher.
Le troisième maillot n’avait pas su choisir. Entre le rouge et vert, il hésitait encore. Mais on le sentait prêt à partir en haute mer.
Le quatrième, enfin, s’était blotti dans l’ombre. Ses couleurs bien plus sombres l’isolaient de ses frères. Le violet dominait et l’on voyait le noir qui s’infiltrait en lui. Mais le maillot savait comment vaincre la nuit. Il avait adopté une touche de turquoise et l’on n’entendait plus, en s’approchant de lui, que le chant de la mer et l’appel de l’ailleurs.

Francine Weill, le 26 mai 2015