Où l’on doit
s’intéresser aux parties du corps que ne dérobe pas le maillot de bain, et
commandent le soin de l’onction de
l’huile qui coule sur lui comme glisse le temps des horloges molles de Salvador
Dali. Un genre d’ode à l’huile solaire !
L’été est intolérable,
il ouvre sur l’abîme, il promet des lointains et des ailleurs quand je préfère
l’ « ici » le plus beau des palindromes qui soit. Comment aller
dans l’été si souvent désiré et nommé que je ne peux pas y voir plus de réalité que dans une légende !
Je veux être, pour un mois, mon propre régisseur et imaginer
ma vie comme mon spectacle, quand délivré du labeur, je vais prendre le temps
de penser à moi et de jouer, en acteur-titre, les scènes d’un acte majeur.
Enfin, ne plus être surmené et cingler vers la liberté, quand ironie du
paradoxe, mon propre temps a changé de valeur, et soudain il m’apparaît morne,
insensé parce que j’en dispose ! Pour ma sérénité, voilà que je n’aspire
plus qu’au retour rapide de ce temps mesuré, contraint, ce temps de la société
du spectacle et du travail où je ne monte même pas sur la scène.
L’été. O saison dangereuse toute auréolée de ton prestige de
temps qu’il fait plus que de temps qui passe, prodigue en tes cadeaux et tes
promesses de l’espoir de me faire comprendre une attente, une attente semblable
à celle de millions de migrateurs qui n’est que le miroir de la mienne.
Un prurit migratoire déchire ma peau qui appelle le soleil
pour la tanner comme celle d’un païen
taraudé par une espèce de plaisir
sauvage qui serait indemne de tout christianisme.
Je veux être oint de cette huile qui déperlera sur mon front
puis versera des deux bords sur mon torse et mon dos, en vaguelettes lourdes.
Ah ! Ma peau, quand l’âge me devient un préjudice, moi,
qui traîne tant d’années prises au temps comme un douloureux cortège !
Pourtant, je crois avancer vers ma destinée et je me fane sur mes épreuves et
mes échecs. Je suis de la cohorte de ceux qui ont parfois le souci de leur bonheur
plus que les qualités pour le faire.
Je veux cette huile de vacance qui suintera en filets ténus
dans les rouages du temps objectif qui entraîne dans ses cardans mon temps
conscient, bien piètre psychologie !
Cela me préserve de la fureur du ressentiment et de la
blessure qui s’ouvre comme une brèche face au temps qui passe, entre ce que
j’aurais voulu de l’été et ce qu’il m’a octroyé. Mon élan initial est
rapidement doublé d’une lassitude douloureuse, profonde, irrémédiable, qui
mange la lueur résiduelle dans mon regard éloigné. L’été s’achève et me laisse avec mes fantômes
d’épouvante qui m’encerclent à la fin de l’aventure.
Vanité du temps cyclique qu’aucune burette d’aucune huile ne
viendra adoucir ! Rien qui jouera le grain de sable dans la fuite éperdue
des jours. Tiens ! Un peu de la plage est resté collé au col du flacon
d’huile que je range à l’automne venue. Voilà que j’apprends à regretter, voici
que vient la nostalgie qui voit grossir
le chagrin comme un fleuve en crue.
Le temps qu’il a fait a laissé le temps qui a passé et
emporté ma jeunesse et quelqu’un de mes proches ; me restera le souvenir
de toute la jalousie nécessaire qu’il nous fallut au partage secret d’une
tendresse qui nous a comblés et tracée comme un sillon dans l’histoire.
Gérard Chabane, le 26 mai 2015