En 1960, un médecin gris et triste apprit à Rosa qu’une
tumescence apparaissait sur la radiographie de son colon. Une coloscopie lui
donna ensuite quelques indications supplémentaires sur le corps étranger qui
avait décidé de coloniser, verbe particulièrement approprié en l’espèce, ses
entrailles. La tumeur, d’un vert assez vif et pour tout dire assez agréable, ne
ressemblait à rien de connu, rien de connu en tout cas du professeur de
gastro-entérologie de sa ville de province. Celui-ci adressa donc Rosa à un
éminent spécialiste parisien, comme il se doit en pareil cas.
Rosa prépara une petite valise, la mit dans le coffre de sa
voiture, un joli petit coupé sport, qu’elle venait d’hériter de son grand-père.
Elle avait pris soin d’emmener son ours en peluche, avec lequel elle dormait
depuis 23 ans, au cas où l’éminent spécialiste lui demanderait de passer
quelques nuits à l’hôpital.
En 1961, Rosa avait épousé l’éminent spécialiste, séduit par
cette jeune fille charmante, porteuse d’une tumeur verte filandreuse, qu’il lui
promit de guérir. Pour sceller leur union, il lui avait offert un papillon
emballé dans du papier transparent. Un papillon aussi léger que Rosa, mais un
papillon enfermé, aux ailes non déployées.
Rosa alterna les séjours à la clinique et les retours dans
l’appartement du 6ème arrondissement. Le professeur Basler
s’efforçait au mieux de la distraire, l’emmenant au bal chez Uba ou au zoo de
Vincennes, voir les rhinocéros et les autruches qu’elle affectionnait
particulièrement. Une petite pointe de mélancolie vert pomme pointait cependant
de plus en plus souvent son nez de chameau dans leur foyer. Alors Jean Basler
serrait Rosa dans ses bras.
En 1962, la tumeur se mit à grossir et enfla le ventre de
Rosa. La fluorescence limoneuse illuminait l’échographie : une boule
entourée de cheveux semblait flotter dans un univers liquide. Inquiet, Jean
Basler se mit à douter des possibilités
de la médecine. Epoux éperdu de sa femme,
il l’entoura de plus d’affection encore et mesura chaque jour la progression de son abdomen.
Un beau matin, alors que Rosa regardait pensivement son présent de mariage, un froissement
d’ailes fit frémir légèrement le papier
cristal. A l’instant où Rosa dégageait les plis transparents, le papillon
s’éleva doucement dans les airs, et commença à tournoyer autour de la tête de
la jeune femme. Elle porta les mains à son ventre, frappée lui aussi par de
légers frémissements.
C’est le jour du papillon que Rosa accoucha d’un joli
garçon, dont le crâne fragile était surmonté d’un toupet de cheveux vert.
Isabelle
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