mercredi 8 janvier 2014

L'émondeur

Monsieur est émondeur. Il se plait à le faire savoir. Il aime son métier. Le contact avec son public, il se dit physionomiste et il l’est. Un visage, une allure, une stature… juste quelques petites secondes et celui-là et celle-là et celui-là encore, aucuns ne seront plus jamais des inconnus pour lui. Monsieur tient sa porte comme il tiendrait l’entrée du paradis. Derrière sa porte, c’est « Le Paradis » : grande salle de danse, parquets et bois massifs, miroirs et vernis. Banquettes tout autour, cuirs rouges et barres de cuivres lustrées. Le cristal, lui, il s’impose dans les immenses suspensions qui semblent comme en lévitation dans la couleur ciel-nuage-et-putti du grand plafond à caissons. Monsieur est émondeur, de son œil, de sa main il accueille les arrivants en même temps qu’il leur tient sa porte. De la même main et du même œil il refoule ceux ou celles qui n’ont pas la tenue correcte exigée - c’est écrit - ceux ou celles qui sont déjà éméchés - c’est lui qui apprécie, Monsieur est émondeur. En fin de soirée Monsieur est attentif à son public, l’heure avance, l’aube pointe, il va falloir qu’il commence à émonder la piste de danse, il est persuasif, il fait autorité, naturellement. Un couple, un autre, les derniers et puis ça y est « Le Paradis » est émondé ! Monsieur est fier de son travail, sans heurt, jamais un mot plus haut que l’autre, Monsieur aime son métier, il aime son titre : émondeur - vient de émonder (v.t.) étymologiquement, é du grec: hors de, ôter -  é-monder: ôter le monde, par extension faire sortir le monde, la foule (d’une salle) - Monsieur est fier de son titre, de son qualificatif, il sait que dans d’autres circonstances et d’une manière bien trop populaire à son goût on aurait dit : « Videur ».

Benoît Decque, mardi 7 janvier 2014

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