Mardi 9 octobre 2012
Décrire un moment
d’écriture
Bibliothèques idéales à Strasbourg, installé au café de
l’Aubette, je veux tout à la fois m’abstraire pour imaginer et me confondre
pour y puiser des ressources. A Strasbourg je ne suis plus à Strasbourg, ma
ville est devenue mon village et sa bibliothèque idéale, ma cité est une école.
Je suis transporté dans un autre espace, l’Agora de
Syracuse, la voie des Panathénées d’Athènes, les papyrus d’Alexandrie, je suis
tout entier dans mon rêve, dans ma réflexion et dans mon retour sur
moi-même ; je suis au rythme du temps croisé de la lecture et de
l’écriture, de l’échange entre les écrivains qui m’ouvrent la voie que
j’emprunte, ils posent un regard neuf sur la vie et m’en dessinent les contours
d’une autre vie possible !! L’univers tissé par tant de mots en une seule
semaine m’appartient, je me le suis approprié, mes écrivains de prédilection
m’ont donné une clé de fiction pour mieux comprendre le monde où je vis. Tout
est mêlé, de l’intime à la force de l’engagement pour la société et le monde.
Que d’introspections hasardeuses en des lieux clos ont précédé leur venue à ces
auteurs, qui nous offrent leur monde reconstruit sur un socle stable de leur
imaginaire !!
Des écrivains me croisent et je me demande comment ce genre
d’individu puisse être au-dessus de tous et comme tout le monde ! Leur
charisme serait peut-être la ligne de conduite adoptée où est maintenue le
style et les convictions de fond. Pour eux c’est avoir du style, mais pour nous
du commun c’est avoir des habitudes !!
Si la culture est pouvoir, la littérature est ouverture vers
des immensités où la liberté peut s’émanciper, que l’on soit croyants ou
incroyants, semblables ou différents ; tout est politique dans la Polis de
Strasbourg qui aborde l’Europe et même le monde par le
seul pouvoir du verbe et des mots, tout se transforme en ce lieu d’échanges
exceptionnel.
Place Kléber, l’Aubette sont les écrins du verbe, la parole
est transformatrice, la vie telles qu’elle est côtoie la vie telle qu’elle
devrait être selon les sensibilités. Oser s’exprimer est si dur que la main
hésite sur la page blanche, je n’ose égratigner de ma plume le Velin de mon
cahier que j’ouvre en tremblant, mais tout mon désir est langage et signes,
tout fait sens bien au-delà des contingences et du subjectif !! De la
fenêtre de l’Aubette, tous les personnages déambulent au long des rues, une
foule de lecteurs et d’écrivains mêlés, mais aussi des personnages de roman
émancipés de la volonté des auteurs et de l’appropriation des lecteurs, vraies
créatures de Frankenstein…….un jour viendra où quelqu’un fera la biographie de
ces personnages de roman.
Strasbourg est Alexandrie et Athènes tout à la fois, la
ville se fait chœur et le verbe est un cœur en contrepoint. Des créateurs en
chair, vivants, sèment leurs pages inconnues au gré des avenues, et je note, je
transcris, je transforme ce que me renvoie mon regard en petites épures posées
sur mon carnet avant d’enrichir et d’orner de syntaxe le propos ; le verbe
s’est fait chair tout soudainement, mais qui fait réellement le roman ? L’écrivain
ou le lecteur, puis-je le savoir par l’empathie ou l’exégèse ? Tout me
parle, je quitte l’Aubette et cingle vers la cathédrale, où je suis hélé par
les visages émerveillés des statues des saintes gothiques, le ciel bleu
s’installe dans la vasque du creux de leurs yeux de pierre et leur donne un
regard.
Elles ne sont plus, par la seule magie de mon regard et de
mon inclination romanesque par côtoiement des écrivains, ces inquiétantes
formes de pierre de part et d’autre du tympan de l’entrée principale de la
cathédrale, elles n’ont plus ce regard braqué vers le vide ; je voudrais
les interpeller mais n’ose pas les déranger, je voulais juste enregistrer leur
mystère. Je ne voudrais plus les voir se rencogner dans les replis de la
pierre, comme si elles étaient retournées à l’âge de pierre, comme une
calcification du passé.
La Synagogue aux yeux
bandés semble se réveiller d’une longue
ankylose, avec ses muscles énervés de fourmis carnassières traduisant encore son
intrépidité, elle, sortie vivante ce jour, du profond de la pierre, pour moi et pour moi seul.
Décidément tout fait sens, le réel n’est finalement pas assez riche, je le double de mon imagination, il répond à mes
injonctions, je suis un démiurge à la mode Platon !!
Mon rapport à Strasbourg, étrangement, est fait d’étrangeté,
une grande sensibilité nouvelle à la
contingence de cet environnement pourtant si habituel et si familier, je
ne suis qu’un bloc d’émotions et de sentiments, j’ai conscience en permanence
de mon décalage, une sensation d’inconfort accompagné d’un regard perplexe face
à ce qui m’arrive ; Pensez-donc, je suis tel un insecte aux mille yeux,
des yeux dédoublés, les miens, ceux des auteurs qui m’ont ouvert d’autres
regards, et même une vision intérieure ; je ne puis que montrer de l’humour afin de témoigner de mon rapport
d’étrangeté soudaine à ma ville; je veux aussi être auteur et raconter des histoires drôles ou tristes, car
finalement à Strasbourg je ne suis plus
à Strasbourg, je veux écrire mes histoires de déracinement et de discordance, il
y a urgence je ne suis que brûlures,
tout ce qui me constitue est en feu.
La littérature est une belle évasion en ces temps où les
angoisses projettent un peu partout leurs ombres noires, où de petits iraniens
ou coréens du nord voient des champignons menaçant quand ils rêvent de nuages,
et leurs yeux risquent plus de briller d’irradiations que de joie !!
Portrait d’un objet
d’écriture (CF Régine Detanbel), ne pas nommer l’objet, pas de subjectif ni
d’émotif.
J’accepte d’être structuraliste pour un moment, j’évacue
toute ma subjectivité et toutes les contingences pour vous rendre mon objet en
soi, avec ses caractères propres et immuables et ses lois de toujours attachées
à sa structure.
Mon objet est un outil de miséricorde qui permet à l’étourdi d’annuler sa faute ou son erreur
et autorise de retrouver le sourire radieux de celui, qui libéré de la peur du
châtiment, retrouve la quiétude de la rédemption, quasi ressuscité, quasi
restitué !! L’objet prend sur lui d’endosser tous nos manques, d’anéantir
tous nos errements, et perd pour cela de sa substance qui se répand en roulures
ou copeaux de plastique ou de caoutchouc sur la feuille d’écriture ou de
dessin. Sa texture est douce aux doigts et n’offre aucune aspérité, elle épouse
de nombreuses formes selon les pressions exercées sur ses faces, et retrouve son état
initial ; mais elle peut être à la fois douce et rugueuse, signalant ce
double aspect selon des couleurs déterminées. Elle finira son existence, particule
par particule jusqu’à assécher les fautes présentes et à venir pour la venue d’un
monde parfait. Souvent, cependant, ses quatre faces ne sont jamais indemnes de
perforations de compas, de punaises, de morsures de dents, de crevasses
d’ongles rageurs, car mon objet est le souffre-douleur de l’écolier en colère
ou désoeuvré.
Mardi 23 octobre 2O12
A partir de trois syllabes prises au hasard, le mot CROMUTAR apparaît,
rédiger une notice de cet objet :
CROMUTAR : Nom masculin, au pluriel cromutara, origine
néanderthalienne tardive ; assemblage de trois phonèmes d’alerte, CRO : de Cro-Magnon, peuplades préhistoriques qui
génocidèrent les Néhanderthaliens, syllabe de signalement.MU : syllabe obtenue par troussement de nez pour
déclamer un mantra de prière afin de chasser les intrus.TAR : Syllabe obtenue par descellement des lèvres pour
montrer les dents, puis souffler dans une sorte d’olifan fait d’une conque
rhénane biseautée, et utilisée pour donner l’alerte aux envahisseurs. Elle fut
utilisée lors de la bataille de Hatstatt qui vit la défaite des Néanderthaliens
contre les Cro-Magnon.
Ecrire un texte après
avoir lu la notice d’un autre participant :
La complainte du COMUTAR
Oyez cromutareuses, cromutarantes et
cromutaresses, vous qui de paroles estes asbondamment pourvues, toutes en
verbes, verbieuses en verbiages passant la chair qu’avez trop abondamment
nourrie !! Esgourdez en place icelui ou icelle de vos cromutars
qu’entrebrassés avaient tenus.
N’ayez guigne que l’infortune les
emporte avant que tout ne leur soit advenu, comme le frère Jésus fils d’un Dieu
qui foin n’existe. Sur nous n’ayez plus maîtrie quand en boulangerie,
baffrerons ronds de pain à fine fleur de farine blanchie. Ne portez sur nous
l’opprobre de vos yeux cavés, portez loin d’iceux l’infernale fouldre, soyez de
notre confrérie et daignez nous absoudre, que nos os ne soient cendre et poudre
cromutarés.
Décrire la première
possession d’un objet (texte garanti sans objet)
En ce hameau du Limousin de mon enfance, régnait ces termes
de l’échange qui me plongeaient dans une perplexité sur la notion de valeur. En
^premier lieu je tentais de percer le commerce humain par les expériences
brutes déroulant leur scène selon des rituels martelés dans le granit, ainsi,
.
M.... Pény était-il l’ami de la famille mais il était en quelque sorte une
valeur d’usage, nous le comptions parmi nos amis car il savait tuer le cochon
et nous l’appréciions pour sa science. En contrepartie nous lui offrions notre
science de battre les faux en gardant un fil de coupe efficient. Nous étions
amis selon cette loi du commerce de l’échange des services. Quant à savoir si
tuer le cochon valait le battage du fer des faux, nous n’en savions pas les
équivalences ou plutôt la notion de service était un étalonnage suffisant.
. Par
contre nous étions d’un bon commerce avec Martial Brun, mais c’était un lien
abstrait ne comportant pas d’échange matériel, si ce n’est de réquisition de
visage, du bon usage des émotions et de bonne hauteur des sentiments. Tout e
produisait dans l’invisible, les gens valaient par eux-mêmes, dans leur
personne, leur lignage et leur réputation. La mesure et la gradation n’avaient
pas d’empire sur ce commerce, c’était parce que c’était lui et parce que
c’était nous. Il ne s’agissait pas de confiance assise sur la qualité d’un
objet ou d’un service, mais sur les qualités humaines inappréciables en termes
de quantité. Pourtant on disait bien quel pouvait être l’objet de notre amitié,
n’était-ce pas finalement un désir raisonnable, un manque sans excès, il était
et avait ce que nous n’étions pas, ce que nous n’avions pas.
. Mais
plus encore, Amélie la gardienne d’oie et le journalier Ernest, leur relation
était d’un commerce excessif, ils étaient possédés l’un par l’autre, ils
aimaient réciproquement ce qu’ils imaginaient dans l’autre, ils étaient tout en
projection, celles d’aimer comme ils avaient été aimés et réparer les manques
affectifs de leur enfance. Pourtant Ernest donnait ce qu’il n’avait pas à
Amélie qui d’ailleurs n’en voulait pas, c’était cela, quelque chose de caché,
l’objet de leur amour, unique objet de leur sentiment voire de leur
ressentiment. Ils disaient joliment ces mots de possession, je t’appartiens
comme tu m’appartiens.
Puis ils se marièrent, ce qui donna lieu à la constitution
d’une dot en franc-or dont la possession avait valeur d’échange universel du
fait de la confiance qu’on y attachait. Mais l’argent non dépensé n’avait pas
de valeur d’usage, ce n’était pas comme un champ ou une bâtisse qui avaient une
valeur d’échange et d’usage pour ce qu’on les travaillait ou habitait.
Mardi 4 décembre, Italo
calvino « Marco Valdo »
La nature est au cœur de la vie, elle s’ouvre sur les
saisons que n’a pas effacées la ville ;
1-
composez une anagramme de votre nom pour en créer une fleur et rédigez une courte
définition.
BANGCHDEREA : Plante dicotylédone des zones humides de
la région de Delphes, de couleur mauve qui dégage une essence puissante et
utilisée par les Pythies et Apollon pour leur pouvoir euphorisant . Après absorption, deux ou trois
interprètes suffisaient à peine pour
décoder les délires verbaux qui sous-tendaient les oracles propres à guider les
conduites futures.
2-Promenade en ville puis un
regard sur une plante qui vous dit la nature.
Je ne sais voir de la ville de Strasbourg que la première
ellipse ceinte par l’eau courante de l’Ill, seulement ouverte vers la
périphérie par des ponts de pierre aux arches puissantes de soutènement.
Au-delà Strasbourg ne m’est plus Strasbourg, je suis le paysan de Strasbourg,
étranger en sa propre ville. Je ne sais rallier l’hypercentre que par la rue
des frères, toujours le même itinéraire ainsi que les troupeaux sauvages
rejoignant les points d’eau des oasis. Poésie des façades où les pierres ont
des visages, des visages de lumières qui appellent les regards. Strasbourg
n’est pas une ville sans histoire et cela lui donne peut-être cette gravité qui
lui ôte un brin de folie. Nulle clameur en ces rues rectilignes, nulle
fantaisie sous la pesanteur de l’ordre, avant que de gagner la colline de Notre-Dame
de Strasbourg dont la grâce vous enveloppe et vous transporte de joie. J’en
étais à mon extase à la contemplation de la « Synagogue » sous les
traits d’une statue de juive aveuglée par un bandeau, qu’une saute de brise,
d’aucuns diraient le vent du diable, fit frémir une touffe de Bangchaderea que
la politique écologie du service d’entretien de la ville n’avait pas
empoisonnée. Je me sentis transcendé par le puissant effluve de la plante en
fin de floraison, qui m’enseigna que nous abordions l’automne ! Les
pierres de la cathédrale ne savent pas parler et dire les saisons, elles nous
contiennent dans une saison unique, puis une fleur frémissante me rappela le
rythme des saisons qui dirigent les travaux et les jours champêtres. La nature
est merveilleuse surtout quand on y est pas, mais un signe émissaire du destin
à leur enseigne me ravit de plénitude.
2-
Le personne d’Italo calvino se perd soudain dans
le brouillard et ne sait plus où il est, à quelle station de tram. Imaginez où
il est et ce qu’il lui advient.
Il cheminait sur le sentier du retour après avoir vu la
princesse Devda Goroazdé qui n’en finissait de s’inscrire sur l’envers de ses
paupières closes, alors que le regard
rapetissé jusqu’au non –être il humait la fraîcheur du soir qui montait du
petit canyon, une fraîcheur qui exaltait les fragrances du théâtre de verdure.
La lauze craquait sous ses pas incertains dans le chemin creux, il connaissait
le doux désarroi de l’intelligence par toutes ces choses natives qui prenaient
un relief particulier à la lune montante. Un filet d’eau parcimonieux clapotait
sur les pierres, la lune et l’étoile du Berger éclataient de lumière, il ne se
sentit soudain plus de ce monde, il avançait sur une voie imaginaire balisée
par des astres aux pubescences d’or, il avait franchi le parapet et arpentait
déjà l’autre ban communal, terre étrangère ressortissant d’un autre vallon. Ses
repères habituels avaient brisé leurs amarres et démarré, ainsi des tours
Sarrazines et du beffroi de l’horloge.
Rien désormais ne lui parlait cette langue de son plateau natal. C’était
sûr il avait dérivé et il entendait à trois enjambées en arrière la princesse
Devda Goroazdé frappant de ses pieds nus les dalles de schiste. Un chien aboya,
puis deux, des lumières jaillirent sur les seuils des maisons baignées de nuit,
il revint soudain à lui car Devda Goroazdé l’avait abandonné. La voix
rocailleuse du garde-champêtre en éveil lui signifia qu’il s’était dirigé sur
le village de l’autre versant, chez les gens d’en haut, il avait flotté comme
dans un songe, le garde-champêtre lui proposa de le reconduire chez lui sans
autres manières et fort civilement.
Lettre
(du) Père Noël (ou le Père Noël
croit-il encore aux enfants ?)
Mon cher Ami Gérard,
Je ne crois plus aux enfants. Je dirai même
que les enfants, en fait, n'existent plus.
Bien entendu, les humains ont une progéniture, une descendance, des
petits, des mouflets, des nains, des chiards et des modèles réduits de
consommateurs.
L'« enfance » est un phénomène de nature, la
première période de la vie humaine, mais l'« enfant », tel que vous le concevez
aujourd’hui, n'est lui qu'un phénomène de culture récent auquel je ne crois
pas. L’enfance du petit d’homme était celle d’un être se développant entre les
exigences naturelles de son état d’enfance, la confrontation à l’existence
humaine, et les contraintes culturelles de sa société de naissance.
L’état d’enfance c’était un apprentissage, une éducation qui devait lui
permettre de prendre la place qui lui était dévolue dans un ensemble, en se
soumettant à l'autorité.
J’avais ma place dans ce monde de l’enfance, père universel de
substitution, père bonhomme ou père fouettard, père sans enfants et sans
parents, père non-géniteur, comme un Père adoptif de tous les enfants. Les psys
disent de moi que je suis une figure non conflictuelle du père œdipien, et que
la fin de la croyance au Père Noël coïncide avec la fin de la phase œdipienne
du développement de la personnalité de l’enfance. La Poste comme assistante du
Père Noël dans sa mission de distribution du courrier, sa médiation avec lui,
et sa sous-traitance en termes de réponse formatées, exerce un droit d’ingérence
dans les familles ; la Poste fait donc droit à ce père de substitution qui
double tous les géniteurs, comme le firent Staline le petit père des peuples ou
Attaturk le père de tous les turcs.
Or les instances éducatrices ont explosé. L’enfance est perçue
maintenant, non comme
l’apprentissage à l’appartenance à un groupe de référence, mais comme la
préparation à une juxtaposition de légitimités individuelles. Le conflit a ripé de l’ordre social au registre du désir. Toute
contrariété est vécue comme une injustice insupportable. L’absence de valeurs
communes est patent, la parole de chacun ayant le même poids. Mais je n'y suis
pour rien, et je ne reconnais pas ces chiards hurlant dans les supermarchés à
s'en faire péter les cordes vocales parce que les parents n'ont pas déposé dans
le chariot la boîte colorée inutile qui passe à la télé. Voilà ce que vous avez
fait de votre descendance en lui attribuant le statut d'enfants », c'est à dire
d'adultes en miniature. (Tant dans les comportements que dans les vêtements).
Non, je ne crois plus aux enfants.
On a dit que j'étais un phénomène de
laïcisation, que dans l'école laïque, dans les mairies, je remplaçais la crèche
alors que les bœufs y accrochent encore le portrait de l'âne. Les chrétiens
célèbrent à Noël la naissance de Jésus Christ qui, non seulement était fils de
Dieu, (encore un fils à papa ! Ontologique, historique ou sautériologique de
surcroît !!), mais aussi d'excellente famille du côté de sa mère. Ce Jésus
est né dans une étable, parce qu’à l’époque, déjà, certains propriétaires
refusaient de louer aux Juifs. Est-ce pour cela qu'il n'y a pas de crèches dans
les mairies?
Pour commémorer cette naissance, certains mettent un petit Jésus dans
la crèche, alors que d’autres préfèrent que ce soit le Père Noël qui entre dans
la cheminée.
J'ai pu être perçu sous bien des formes, mais toujours je faisais des
cadeaux, un don gratuit à l'enfance, alors que vous en avez fait une
obligation, m'ôtant même le choix du cadeau pour le laisser à ces affreux
moutards, dont l'appétit n'est jamais satisfait.
Mais si Noël a une histoire, cette fête conviviale fait, de nos jours,
oublier le passé, ne s’occupe pas de l’avenir et ne s’intéresse qu’aux
présents.
Le don correspond à un rituel dans les sociétés tribales.
Le cadeau, qui semble consenti et libre, est
en réalité une contrainte sociale et définit un rapport proche de l’agression,
qui exige, en réciprocité un contre-don. Je sers à éviter que chacun se sente
en dette, à éviter la nuisance du potlatch, l’obligation de donner, celle de
recevoir et celle de rendre encore plus.
Mais ces enfants- là, n'ont plus ce problème.
On a dit que j'étais une création historique
récente. Il y a toujours eu des fêtes où l’on faisait des cadeaux aux enfants.
Mais l’économie des dons/contre-dons au sein de la famille apprend à l’enfant à
avoir des demandes matérielles, à formuler ces demandes (la lettre au Père Noël,
et souvenons-nous déjà pendant la
2ème guerre mondiale !! La plus belle lettre au père Noël aura permis à un père
prisonnier en Allemagne de rentrer chez lui pour les fêtes, mais seulement pour
les fêtes.) : Bref, il est éduqué à désirer obtenir des biens matériels, et à
les recevoir " magiquement " d'une " main invisible ".
Lorsqu’il reçoit ce qu’il a demandé, lorsqu’il est comblé, l’enfant ne
se sent pas en dette d’un contre-don impossible à l’égard de ses parents. On a
fait de moi l’opium des enfants, les aliénant à une appartenance à un âge de
simili adultes, écartant tout apprentissage à la difficulté et au travail
nécessaire à obtenir quelque chose. Non, je ne crois pas à ces « enfants ».
On a dit que j'étais un phénomène de paganisation, une fête moderne,
inventée par les américains avec des caractères archaïques, alors que le
prétexte païen à la réalisation d'un diner frugal de victuailles
hypercaloriques et hyper glycémiques, se retrouve en fait quelques jours plus
tard, au Nouvel An. Sur le plan darwinien j’ai beaucoup évolué, depuis ma
figure de Saint-Nicolas porteur de la lumière du Christ, le Weihnachtsmann vert
et enfin le Santa Klaus rondouillard et rouge, sans compter qu’à Strasbourg le
Père Noël est une fille Christskindel émanation de sainte Lucie.
Mais où est l'enfance dans tout ça?
La vérité, c'est que je suis utilisé comme prétexte à la sanctuarisation
de l'enfance, ce mouvement qui fait de la progéniture de l'homme, du fruit de
l'homme, un « enfant », un être indépendant. Je sers à justifier le passage de
la notion de progéniture à celle d'enfant, d'un état naturel, celui d' « infans
», celui qui ne parle pas, au concept d' « enfant », auquel je ne crois
pas, en fait un enfant gestionnaire à partir de 2 ans, qu’on en juge :
. L’enfant doit établir et
écrire sa liste de cadeaux, il doit gérer son Noël et créer son service
d’achat, et cela sans concurrence car seul le Père Noël est labellisé et
référencé.
. L’enfant
doit rédiger son Contrat avec le Père Noël, ce dernier sera-t-il performant ?
Il doit envisager des clauses synallagmatiques et des clauses de résolution.
. L’enfant
doit faire une étude de marché et porter les spécifications techniques et la
marque des jouets souhaités, négocier des garanties et des contrats de
maintenance. Certes la négociation tarifaire n’est pas de mise en raison de la
gratuité consentie par le fournisseur magique et personnage de contes. Cela
évite la nomination d’un commissaire aux « contes ».
. L’enfant
doit mettre en place une stratégie de négociation avec le Père Noël, argumentée
sur des résultats scolaires ou sur des promesses à venir, c’est bien d’un
véritable management de performance, voire un management de projet dont il
s’agit; Quoique parfois je reçoive de simples demande ou commande non
argumentées.
.
L’enfant doit s’astreindre à de la rédaction administrative très codifiée, pour
faire une lettre de recommandation de lui-même, avec le programme d’action et
pense que, moi le Père Noël, peut
réaliser cette performance comme
l’enfant, la sienne.
Savez-vous qui a officialisé ce mouvement ?
Françoise Dolto, la sœur de jacques Marette ministre des Postes : « Notre rôle de psychanalyste, n’est pas de désirer quelque chose pour quelqu’un mais d’être celui
grâce auquel il peut advenir à son désir. ». Elle considérait que les enfants de un an disposent, à leur
manière, d’une pleine intelligence des choses. Ce faisant, elle les sortait de
leur statut social d’infans, étymologiquement celui qui n’a pas droit à la
parole, pour le définir comme un être de langage, avant même qu’il ne sache
parler. Mais dès lors qu'il sait hurler.
Pour officialiser ce changement de statut, c'est elle qui a mis en
place, avec la Poste, la fameuse lettre au Père Noël...
Le schéma narratif est bien connu, il met en évidence la figure bienveillante du Père Noël qui a beaucoup de travail, le Père Noël a aussi un
profil fouettard et demande aux enfants s’ils ont été sages, le Père Noël
est aussi déraisonnable et permissif qui récompense les caprices de
l’enfant, le Père Noël est un enfant lui-même, un peu fou fou, et enfin le Père
Noël peut être aussi oublieux, à partir d’un certain âge il sera révélé et ce
sera la fin de l’innocence. Je connais bien ce processus et le respecte à la
lettre comme on dit à la Poste.
J’ai vocation à être un
personnage éphémère pour l’enfant et je m’attends à mourir jeune dans son
imaginaire, car je ne voudrai pas encourager le syndrome de Peter Pan chez des
enfants qui se refuseraient à grandir pour ne pas cingler vers l’âge de
raison ! Je ne le sais que trop, ces petits d’homme en arriveront
inéluctablement à différencier le réel de l’imaginaire, et ils vont se
préserver cette aire d’illusion avant d’affronter cette réalité qui les
inquiète et les malmènera leur vie durant.
Je veux être l’interlocuteur
privilégié des enfants, leur confident auprès duquel ils pourront exprimer
leurs désirs secrets, je serai l’ami intime de l’enfant qui n’a pas d’amis.
N’allez pas croire que j’encourage la naïveté, mais je veux les accompagner
doucement sur le chemin qui les conduira à la désillusion, jusqu’au jour où je
mourrai pour leur imaginaire, et où la réalité leur fera prendre conscience que
tous leurs désirs ne peuvent pas être exaucés, même la guérison de leur maman
par exemple. Et je veux m’adresser aux enfants qui ont percé mon mystère et
m’ont dévoilé pour devenir de jeunes initiés et affranchis de ma vérité, même
si vous avez le sentiment que l’on vous terriblement trahis,
« Aidez-moi à entretenir la magie à l’attention de vos plus jeunes
frères et sœurs, je vous octroie le statut de jeune initié et continuez à leur
intention, d’entretenir ce pieux et bien joli mensonge, et de garder en vous un
merveilleux souvenir de moi !».
On a dit que j'étais un mensonge social par la question de l’origine
des cadeaux de Noël.. D’abord Noël arrive toujours quand les magasins sont
bondés, et les commerçants auraient été bien plus inspirés de choisir une autre
date. Fixer la date au mois de Juillet aurait aussi permis que j'évolue enfin
dans des cheminées éteintes. Sans parler de la température extérieure : Noël au
balcon, enrhumé comme un « con ».
Les adultes mentent sur mon existence (mensonge primaire) puis sur
toutes les conséquences logiques de ce mensonge (mensonges secondaires), telles
que les caractéristiques de mon personnage, les éventuelles contradictions avec
la réalité (par exemple : absence d’une cheminée dans l’appartement).Or tout
mensonge est immoral selon Kant : le fondement de toute morale repose sur
l’impératif catégorique selon lequel chacun doit agir uniquement d’après une
maxime dont il peut en même temps vouloir qu’elle devienne une loi universelle.
On ne peut pas mentir sans accepter que l’on nous mente en retour,. Abuser de
la crédulité de l’enfant est toujours immoral : personne ne devrait jamais se
le permettre.
Mais l'enfant aussi est un mensonge social. Abuser de la crédulité des
adultes également : s'ils ne croient plus au père Noël, néanmoins, ils votent,.
- On a dit que je représentais la laïcisation
d'une fête chrétienne, alors que j’existais, sous des aspects divers, bien
avant la naissance, comme dit Desproges, du « célèbre illusionniste
palestinien ».
Or j’incarne un principe de plaisir magique plus puissant que le
principe de réalité. Dans un quotidien structuré et banal j’ai toujours apporté
une dimension magique dans un monde de plus en plus désenchanté
Dans une société traditionnelle baignant dans l’enchantement du monde,
où les dieux et les esprits se devinent derrière chaque objet, je n’étais que
l’une des figures de la magie qui baigne toutes choses.
Figure mythologique forte, médiateur entre la terre et les cieux,
avatar de dieu, un Hermès dont la hotte est une corne d’abondance je permettais
d’apercevoir la munificence d’un paradis comblant tous les désirs…
La laïcité interdit-elle le rêve ? Ou ne l'interdit-elle qu'à l'enfance
qui se doit d'être raisonnable?
Alors les parents restent très attachés à moi : dans le bonheur de
leurs enfants, ils retrouvent le leur, celui d’une croyance, d'un fantasme
archaïque, en un lieu et un temps qui satisfait tout, d’un parent qui comble à
jamais le manque et éteint tout désir.
Je suis le seul lien entre l'enfant rationnel créé par nos sociétés et
le monde magique de l'enfance ou tout ce qui se produit est nouveau, un
miracle, sans cause logique. Les adultes ont besoin de moi pour maintenir le
lien de leur enfant avec l'enfance. Plus l'enfant sera considéré comme une
entité sensée et indépendante, plus les adultes auront besoin de moi. Mais pas
les enfants. Je crois en les adultes, je ne crois plus aux enfants.
Mais je suis tout prêt à perpétuer la tradition, à respecter les croyances de
l’enfant, quand celles-là lui permettent de se construire et de faire son
apprentissage, à lui transmettre les valeurs
de partage et de travail, même dans votre société financiarisée et qui rêve
d’entreprises sans salariés..
J’attire votre attention sur des errements que j’ai pu
constater dans vos opérations de marketing où je fus représenté avec un nez de
clown, je suis très soucieux des représentations de mon image, car c’est
sérieux il faut respecter les valeurs. Et surtout ne tentez plus de me brûler comme à Dijon en 1951 sur le parvis
de la cathédrale, pour fait de paganisme !!
J’ai mon alliée la Poste qui doit donner du sens,
surtout pour les enfants en solitude ; mais sans l’aspect religieux mon
personnage devient plus artificiel et prescripteur commercial, mais je veux
continuer à rétablir la sérénité dans les familles et rendre les enfants plus
sages. En fait on demande la sagesse aux enfants car les adultes n’en auraient
plus la compétence.
Je m’arrangerai pour tenir l’engagements de mes
transactions invisibles, mon parcours haut le pied sera millimétré tout en
préservant mon habit rouge, rouge comme le sacrifice du Christ, et ma prime de
panier étant insuffisante, je compte sur vous les enfants pour me sustenter en
friandise, lait et toutes nourritures roboratives, que vous poserez au bord de
la cheminée, votre boîte cidex à vous les enfants. N’oubliez pas non plus mes
rennes qui sont au nombre de 9, le dernier attelé pour me servir de guide dans
mes voyages dans le ciel, et n’hésitez pas à déposer des carottes ou tourteaux
de soja afin qu’ils demeurent robustes et ne succombent pas à une quelconque fièvre,
aphteuse ou acheteuse ;
Je suis l’archétype de l’avent, celui qui vient à l’issue d’une longue attente et non
moins longue patience. Je sais qu’avant moi on a envoyé tant de courriers
désespérés dont on n’attendait jamais de réponse, car nous n’avions pas alors
de passeurs culturels, de passeur d’intelligence et de coeur, mais j’en suis sûr maintenant, jamais cette lettre que vous
m’envoyez aujourd’hui n’atteindra ma destination avec autant d’adresse !! J’ai
entendu vos voix sans visage ! Et vous mes anciens amis, rassurez-vous, vous serez enfin les réceptionnaires du colis
dont vous aviez à grand peine arraché le
bon de livraison au prix de d’efforts terribles de vos difficiles et lointaines
années d’innocence.
Pour m’adresser votre courrier, n’ayez crainte qu’il
n’arrive pas car comme le Christ j’ai le don d’ubiquité ; j’ habite dans
une forêt allemande, ou au pôle Nord où j’ai ma fabrique de jouets installée
dans la glace, mais j’ai aussi des succursales car au pôle Nord je ne peux pas
nourrir les rennes, alors j’ai des adresses CEDEX en Finlande à Rovaniemi, à Oslo chez mes amis
norvégiens, au nord – ouest du Canada et même en Sibérie chez mon ami le père Gel tout là-bas !! J’ai préparé un dossier pour
installer mon siège principal à Strasbourg, la capitale de Noël, mais
l’instruction sera longue car cette ville est toujours engluée par les
batailles de siège. Quoiqu’il en soit, candidats aux cadeaux saisissez-vous
d’une plume ou d’un clavier et inscrivez votre Désir afin qu’il ne vous manque
plus rien, et postez votre lettre écrite, illustrée de votre main ou de
collages de catalogue et la Poste fera le reste.
Cher ami, ne soyez pas surpris de recevoir une lettre
du père Noël, il me fallait écrire car je me sentais las de n’avoir qu’à lire et
à confectionner des colis. Signé, le Père Noël.
Faut-il en finir une bonne fois pour
toutes avec la fin du monde ?
Il n’est grand empire sur notre vaste terre qui ne trouve sa
fin, quand son heure est venue disait Sébastien Brant ! Où nous mènera sa nef
des fous comme une arche de Noé surmontée d’une voile et d’un gouvernail à la
manière d’un Armageddon moderne, vers un sanctuaire où les saints seront sans
visage ? Mais pour se diriger il conviendra de tenir compte du positionnement
planétaire, la planète Nibiru s’alignera avec les autres planètes du système
solaire le 21 décembre 2012.
Au savoir prévoir manque désormais une promesse, jusqu’alors
la promesse était celle du progrès mais qui a emmené des cataclysmes
apocalyptiques de deux guerres mondiales, et donc aujourd’hui on recherche la
symétrie du progrès qui est la catastrophe. La fin du monde annoncée par les
chrétiens répondait à une logique, le monde créé par un dieu ne pouvait
disparaître car tout ce qui a un commencement doit avoir une fin, mais cette
fin ne venant pas, nous l’avons incluse dans notre immanence.
L’idée de progrès a-t-elle été abandonnée pour autant, ou
alors l’avenir ouvert a-t-il été investi par la liberté ? L’avenir ne
pouvait être que nécessairement meilleur, mais on semble renoncer au progrès
suite à l’échec du progressisme ; Marx pensait que les crises du
capitalisme généreraient un avenir meilleur par une fin du capitalisme, mais
les crises sont devenues un outil de mobilisation afin de préserver le
capitalisme, afin d’engager des politiques de sauvetage de l’Euro, des marchés,
on cherche le salut mais de qui ? La crise doit durer longtemps pour
éviter la catastrophe, mais alors comment sortir de l’alternative du salut pour
sortir de la crise ou bien plonger dans la catastrophe ?
Mais que font donc les millénaristes, leur silence est
effrayant ? Ont-ils enfin percé en eux le ridicule du prophète?
Que font donc les Raéliens, les Paco
Rabane et autres doctrinaires de la fin
? Et l’église qui se dit le fruit des entrailles de la vierge Marie, ne lui reste-t-il de ces entrailles que des viscères dans
lesquelles elle pourrait entrevoir notre avenir, pâle figure qui me décourage
de me donner encore la peine de nier Dieu, ce qui était pourtant le beau, seul
et dernier scandale ?
Cela nous plait bien de nous créer de fausses frayeurs, de
nous raconter des histoires qui nous font trembler, cela fait monter
l’adrénaline avant que nous retombions dans un bienheureux état de sérénité
pour cette année 2013, ce treize qui porte bonheur. Etrangement on n’envisage
pas son propre anéantissement, nous nous installons plutôt à la place du
spectateur et donc du survivant, et tous nos ennemis auront péri dans cette
catastrophe ; Le problème est que nous sommes une multitude de petits « moi »
en position de victoire d’après la catastrophe, avec la délicieuse sensation
d’avoir maîtrisé la vie et la mort. Quel sera le premier jour après vous ?
Nous avons certainement tous un deuil à la suite duquel
notre existence n’aurait plus de sens, et dès lors nous ne pourrions plus nous
intéresser à ce qui nous entoure, tout n’aurait plus d’attrait et serait
étrangement inquiétant et vide, comme anesthésiés nous souhaitons en finir mais
pas seuls, de préférence avec le monde entier. Nous n’aurions pas d’autres
moyens d’exprimer notre peur dans cette époque de transition, cette période de
changement, cette ère qui va s’achever, alors on délaisse le drame individuel,
pour une tragédie planétaire plus rassurante car nous n’y serions pas seuls.
Notre fibre paranoïaque vibre, nous savons que quelque part oeuvrent les
meneurs du jeu, les vrais maîtres du monde, les animateurs d’un complot
planétaire ; Et si nous étions de ces maîtres du monde, de ces initiés capables
de maîtriser la marche du monde, nous aurions ce plaisir narcissique des
initiés, de détenir une vérité cachée au plus grand nombre. Pouvoir suprême,
nous ne savons rien de nos origines mais aurions la capacité peu partagée d’en
savoir la date et les modalités de la fin.
Nous croyions que les superstitions avaient vécu, mais nous
savons à la manière de Paul Valéry que les vieux fantasmes religieux ont pris
la précision rationnelle d’une prédiction genre Hiroshima ou Fukushima, nous
sommes passés de la prophétie à l’expertise, nous sommes devenus les égaux de
dieu et lui avons volé le feu pour nous autodétruire quand on le voudra. Nous
vivons une crise du temps, jusqu’à il y a peu nous vivions l’expérience d’un
temps cyclique ou linéaire, puis nous sommes passés au temps chronique ; nous
ne nous attachons plus à traiter les problèmes avec une efficacité dans le
temps, nous préférons avoir la crise permanente et comme un actuaire prévoir la
posologie à vie !
Nous avions pris l’habitude de connaître des crises qui nous
ramenaient à un genre de temps zéro qui augurait d’un changement et d’un
renouveau ; Actuellement nous ne sommes plus que prospectifs et interdisons les
situations nouvelles, nous avons un monde sans crise à attendre, c’est-à-dire
un monde en crise chronique. Nous employons une stratégie de l’évitement en
sortant du temps, un événement n’est plus l’aube d’une situation nouvelle mais
il doit être digéré immédiatement pour ne pas créer de temps zéro, nous ne
voulons plus de ces petits temps zéros, pour leur préférer un grand temps zéro
qui sera plus grave.
Et pourtant qu’il est bon de réécrire en permanence le
rituel actualisé de la chute, c’est même approcher de nouveau la naissance même
si nous sommes dans l’automne de la vie. Nous sommes ainsi au cœur du mystère
de la vie et de la mort, et soudain un temps de plus en plus neuf afflue sans
cesse en direct des origines et cela autant de fois qu’on veut le vivre, à
condition pour nous de retraverser la détresse originaire !! Vraiment une
étrange instance où le néant appelle le vivant, toute métamorphose suppose un
reconditionnement à zéro, sous réserve d’en accepter la dépression miraculeuse.
Ainsi la chenille accepte de se dissoudre pour que de cette soupe primordiale
naisse le papillon qui ne conservera aucun caractère de sa matrice originaire.
Nous sommes revenus au temps de Gilgamesh, de la Mésopotamie,
de la Bible et de son contexte de la chute et du rachat, les dieux quelque part
ont décidé de noyer les humains au motif qu’ils ne les supportent plus, et un
seul survivra à cet apocalypse. Destruction de l’Humanité, voire même de
l’univers à laquelle survivront certains justes. Nous sommes revenus au temps
cyclique, à la fin d’un monde et non à la fin du monde, car la fin du monde
serait en quelque sorte une réparation, Dieu punira et tuera les hommes et ne fera survivre que
les méritants, à Bugarach par exemple. Un sentiment s’empare de nous, d’arriver
à la fin d’un cycle. Déjà en Alsace nous avons eu Luther, parangon d’une fin du
monde prétexte à un renouveau politique et religieux, et certains déviants de
s’autoproclamer les empereurs des derniers jours chargés de fonder la nouvelle
Jérusalem !!
Et il y aura de quoi l’alimenter en matériel humain cette
nouvelle Jérusalem, la société actuelle
a placé son cœur à ses marges, sa majorité en périphérie, dans une
économie faite pour très peu de gens, ceux qui sont actifs sur le marché en
prenant sur les autres. L’état des lieux post-Sarkozy montre que ce monde dont
on craint la fin, est fait pour les riches décomplexés, la droite décomplexée,
c’est-à-dire sans civilisation, qui affirme que le RSA est de l’assistanat, les
Français ne sont pas chez eux ; ça fracture et ça créé des boucs émissaires, ce
discours s’insinue dans la relation père-fils
et nous n’avons plus l’esprit comme tiers médiateur.
La crise de civilisation qu’on confond avec la fin du monde,
c’est lorsque les interprétations traditionnelles ne donnent plus de sens,
c’est une crise du paradigme culturel axé sur l’individu naturel, atoma, cette
monade qui n’est plus divisible ; la révolution du monde arabe actuel suit le
même chemin en mettant en cause l’Oumma qui récusait l’individualité.
Nous y sommes très accrochés à cette phase augustinienne individualiste, fondée sur la rationalité de l’organisation
de la vie, de la force métaphysique pour fortifier l’ego avec un besoin de
certitude en cherchant son Dieu toujours et jusqu’à l’illusion qu’on l’a
trouvé. On croit tout pouvoir contrôler avec Newton, quand on connait tout et jusqu’enfin à la phase de la physique quantique.
La théorie du complot est une conséquence de cet
atomo-centrisme, elle nous fait supposer qu’une mafia économique mène le monde.
Retrouvons donc cette
démocratie avec son socio-centrisme, et la joie d’aimer l’autre comme il est
après notre sortie de l’ego ; mais l’ego est au centre ; on peut ne plus avoir
peur de mourir ou peur de la fin du monde, si on sait qu’en Grec le mot mort se
dit résurrection, alors qu’en anglais c’est brutalement « death » !
Notre existence est de moins en moins sous l’angle de la «
relation », la Grèce est devenue existentielle,
et cela est devenu insupportable, le Grec a perdu la possibilité de
réaliser, on est exilé de notre propre vie. Les droits de l’homme sont un
leurre juridique et ne sont pas la seule base de la démocratie, il existe
pourtant encore les catégories morales. La Grèce antique nommait les dieux, et
le mystère vient du christianisme, il apporte le fait de communier, la
communion père-fils et esprit, ce sont des qualités relationnelles qui n’ont
plus trop cours.
Mais vouloir se réincarner et ressusciter, c’est accepter de
porter à nouveau le péché originel alourdi d’une dette de 25.000 € par tête
nouvelle à assumer pour le compte de nos prédécesseurs !! A la culpabilité d’avoir été incarné et de
porter la chair, nous devrions tuer la chair avant la mort, afin de permettre à
l’âme de faire l’ange pendant que le corps ferait la bête ! Nous ne trouvons
pas que cette épreuve est déjà la fin
d’un monde et nous nous faisons peur avec une pseudo fin du monde !!
Un havre nous est désigné pour cette fin du monde, Bugarach
comme le Lourdes des mystiques en finitude, et prêts à une tragédie collective
façon Temple Solaire, qui est un vortex, une porte vers une autre réalité. Des
extraterrestres sont venus ici en d’autres temps et avant de repartir, ont
transmis leur savoir aux Sumériens et aux Bugarachiens !! Quand le monde va
finir selon la prophétie Maya, un vaisseau viendra chercher les élus ou plutôt
les choisis.
Mais comment notre esprit fini peut-il envisager l’infini,
et comment imaginer la juxtaposition du village de Bugarach demeuré vivant, et
du reste du monde réduit au néant ? Quelle interface serait à même de passer de
l’un à l’autre, sans compter que les paramètres sont mal définis et ne
précisent pas s’il s’agit de la fin de la terre, de la galaxie ou de l’univers
?
Pour oublier que nous vivons la fin d’un monde, nous
célébrons la fin du monde en 2012, et nous dansons sous les lampions de
l’apocalypse !! Nous voulons vivre la peur majuscule, et tester notre capacité
de désespérer pour accepter de tomber indéfiniment dans ce vertige de la fin du
monde. Nous lui donnons forme, un astéroïde géant, une pandémie virale, un
changement climatique, une guerre nucléaire comme dans les années 1960 mais qui
a tendance à revenir des pays émergeants, et enfin le réchauffement climatique qui est un lent suicide collectif
paraît-il. Sur le rayon des apocalypses
nous avons l’embarras du choix, que nous croyons avoir déjà été enclenché
depuis longtemps à l’échelle de l’univers tout entier. Au planétarium de
Strasbourg écoutons les pythies nous prévoir une mutation du soleil dans cinq
milliards d’années, la géante rouge aura vaporisé les océans de notre planète
et nous aura grillés et par compassion de type Hulot, je m’inquiète de ce
qu’elle sera au moment où elle refroidira.
La prévision nous vient du Mexique et de ses anciens Mayas,
nous serions éligibles à leur almanach. Il faut dire à la décharge de ce pays
qu’il a déjà connu la chute d’un astéroïde de 15 kilomètres de diamètre tombé
sur le Yucatan il y a 65 millions d’années et entraîna la disparition des
dinosaures ; mais ce n’était pas la fin du monde car l’astéroïde n’avait pas
éradiqué toute vie sur terre, l’espèce humaine aurait toutes les chances d’en
réchapper ; de même une pandémie extrêmement sévère ne pourrait entraîner la
fin de l’Humanité, la diversité de nos systèmes immunitaires est telle qu’au moins 1 % de la population
résisterait à l’infection !
Quand j’étais au Mexique j’eux connaissance de ce calendrier
maya à l’aura mystérieuse qui prévoyait la fin du monde pour ce 21 décembre
2012 !! Et cette année, des cérémonies ont lieu là-bas qui marquent le
changement de l’ère Maya à l’issue de 5200 ans, interprété par certains comme
une prophétie de la fin du monde. La presqu’île du Yucatan débute les fêtes par
des offrandes au dieu Maya de la lune, Ixchel. Le calendrier Maya marque, « 4
ahau 3 kankin », qui correspondrait au 21 décembre de notre calendrier, en fait
cela marque dans le calendrier maya la date de la fin d’un grand cycle.
Les Mayas ont connu une grande civilisation, leur écriture
était extraordinaire et leur grande civilisation a disparu. En revanche, le
«mystère» scientifique était de savoir dans quelle langue parlaient les Mayas
et comment déchiffrer les glyphes de leur écriture? Que disent vraiment leurs
calendriers sacrés et profanes? Cette prédiction du 21 décembre est une
absurdité totale. Si vous prenez le livre de l'Américain Jose Argüelles, «le
Facteur maya», publié en 1987, où les Aztèques se réfèrent à quatre fins de
cycle, les Mayas à trois seulement. A la fin d'un cycle, un autre commence. Ce
n'est pas une fin du monde, mais une fin de cycle. C'est-à-dire que le
calendrier va recommencer de zéro, comme pour nous. Nos fins de cycles n'ont
pas la même importance ni la même signification. Nous avons des cycles d'une
semaine, d'un mois, d'une année, d'un siècle, d'un millénaire, il ne manque
plus que des examens de fin de cycle comme des examens de conscience.
Sauf que nos cycles sont alignés sur une durée linéaire: il
y a un commencement, une création du monde. On y croit ou non, mais nous
fonctionnons dans un système fondé sur l'idée de création, et donc de fin.
Alors que les Mayas ont au contraire une pensée parfaitement cyclique au sens
où un cycle succède à un autre dans une idée d'infini. Chez les Mayas, vous
avez quelques dates qui se réfèrent à des chiffres absolument ahurissants de 98
millions d'années. Pour eux, chaque fin du monde ouvre la porte à une nouvelle
création et la fin du monde est une promesse de renouveau, à condition de
sacrifier les bonnes victimes.
Nous ne sommes pas dans un processus de création et de
destruction mais de remplacement d'un ensemble de divinités ou de pouvoirs par
un autre, car les divinités ne sont pas éternelles. Le cycle va se répéter mais
avec des variantes. Et on sait qu'à chaque fin de cycle un dieu qui est
responsable de l'ordre du monde sera remplacé par un autre dieu qui va
reprendre les choses en main et remettre de l'ordre dans le monde, mais son
ordre à lui.
Il n'y a donc pas
d'explication globale de la chute de l'empire maya mais des explications au cas
par cas selon les cités. Ce ne semble pas une disparition brutale et globale
diligentée par une force naturelle ou des êtres venus d’ailleurs. Et puis les
Mayas se sont trompés, ils ont cru voir arriver des dieux à cheval, et ils
n’ont rencontrés que des espagnols qui leur ont offert la fin d’un monde, le
leur. Alors parler de fiabilité des prévisions mayas !! Cela ne fait rien, une
prévision fausse alimente quand même notre idéologie fin-de-mondiste.
Suicidaires de tous les pays, unissez-vous !! L’avant –garde
est aux avant-postes, le dialogue de masse est rodé, et l’ironie christique
nous a dotés d’internet de surcroît. Nous avons la technologie, qui est une
ruse de la déraison pour tromper l’esprit, la philo-folie ou la folie
individuelle sont mises en réseau. Pour
tout détruire il faut synchroniser et nous en avons les moyens.
Notre temps est celui des catastrophes, demandez donc à
Virilio, le plus urgent pourtant n’est pas d’éviter la fin du monde mais de repenser
et de réinvestir le monde de manière nouvelle. Après la fin du monde, car elle
a déjà eu lieu même si nous ne nous en sommes pas rendu compte !! Dans notre
société scientifique, la peur apocalyptique a encore cours, avec cette
révélation qu’après ce serait la justice ; ce sentiment demeure, il est lié à
la crise économique et écologique, avec la crainte de la disparition de l’homme
et de l’écosystème, mais ce n’est plus l’apocalypse c’est réellement une catastrophe !! Il y a
deux sens du mot fin du monde, il ne faut pas l’oublier!!
La fin du monde a déjà eu lieu car au 17 et 18ème siècle, la
modernité liée à l’effondrement d’un monde ancien sous l’égide de la Providence divine, demandez à
Baudelaire qui va nous en parler après;
Au 17 ème siècle on avait une vision du monde au sens d’une unité ou d’un
cosmos, puis cela a périclité, effondrement des certitudes, Descartes a
douté et c’est devenu un rapport inquiet
au monde dont on doute, on a inventé des rapports au monde nouveau qui n’est plus
géré par dieu, et le progrès est une catégorie de consolation, l’avenir est
ouvert et non plus décidé par dieu et sa transcendance. Vivre après la fin du
monde, demain sera pire qu’hier, donc il faut inventer autre chose. L’ordre du
cosmos s’est effondré au 17 et 18 ème siècle avec la Révolution. Nietzsche a
annoncé la morte de dieu avant que ce dernier n’annonce la sienne.
Ne faisons pas la fine bouche sur celle de l’an Mille des
millénaristes, le ciel s’était assombri et on avait retiré l’échelle du ciel,
un grand vide entoura nos aînés, la foi
fut exaltée comme un saut inexplicable vers un Absolu désormais caché ! En
voilà une belle fin d’un monde !! Le monde devint le lieu d’un langage
intransitif dressé à sa verticale. Des prophètes de rencontre se voulaient des disciples de St Jean, qui à force de
chercher le commencement de l’Univers, entrevoyaient sa fin, mais se heurtaient
au problème de l’ordre de l’imprévisible, de l’événement, de l’inepte.
Avant, nous avions le héros tragique, avec la nécessité de
la catastrophe, utilisée au théâtre, moment d’extrême violence du dénouement.
Le monde n’a un commencement que s’il a une fin, pour les Mayas le monde était
cyclique et donc pas question de fin du monde, on commençait un nouveau cycle,
au contraire avec les religions monothéistes. Un malheur peut s’abattre sur
Antigone, c’est le destin et la nécessité ; on parle de fin du monde quand un
monde n’est plus le cosmos, alors on trouve des personnages de roman sans
transcendance comme Don Quichotte avec Cervantès, le destin n’existe plus, la
rencontre de l’individu et du monde n’est plus donnée à l’avance, il faut
l’investir même avec du ressentiment contre ce monde qui n’a pas reconnu tel ou
tel homme.
Il y a sécularisation du rapport au monde contingent, ce
rapport peut être ou ne pas être, ou être différemment, fragilisation du
rapport au monde, tel l’entrepreneur ou l’artiste qui tentent de faire
s’adapter le monde, le plier à leurs exigences ; l’entrepreneur invente et
modifie, il y a instabilité du rapport
entre individus avec des
changements en permanence, pas d’ordre installé pour cet entrepreneur sans
monde ou dans un monde qui est à refaire en permanence.
On doit différencier vie et monde, Anders repense le monde
après Hiroshima, le monde peut disparaître, une véritable transformation
historique avec un changement de tous les concepts, il ne faut plus transformer
le monde mais le préserver ce monde avec l’écologie, et il faut renoncer au
progrès moral et politique ; on doit envisager le monde sous l’angle de la
catastrophe, et faut préserver le temps, avoir un nouveau rapport au temps ;
notre salut commande que les choses survivent, comme les régimes de retraite,
on doit réduire les enjeux politiques à de la survie de tout ! La vie veut la
vie et elle se survit à elle-même et donc la vie serait une norme en soi mais
est-ce une norme politique ?
Si la préservation est une norme, la défense de la vie est
de retrouver le cosmos ; si on veut transformer la vie c’est une menace sur la
reproduction de la vie, on veut faire de l’immunité avant que le virus arrive,
faire une réponse à la menace avant qu’elle n’arrive. L’immunité contre la fin
de la vie certes, mais nous sommes ouverts à la transformation. Avec notre
volonté de préserver le monde sans plus le transformer, nous pourrions
dorénavant nous entretenir facilement avec un prêtre maya, un prêtre égyptien
ou grec, car nous voulons que la terre soit et demeure à l’image du cosmos qui
la surplombe.
Nous devons accepter l’incertitude, il faut accepter la fin
du monde, c’est le thème du film « Mélancholia », souvenez-vous, avec l’image de la cabane qui fait « monde »
pour se protéger de la fin du Monde. Il ne faut pas grand-chose pour faire un
monde. Dans ce film la folle sait que la fin du monde est arrivée et qu’elle
peut vivre dans cette cabane magique, c’est-à-dire un monde quand il n’y a plus
rien à faire ; souvenez-vous aussi du
film « Shame », c’est la monstration de l’absence de monde, le trader
qui n’a pas de monde, un appartement sans aspérités, il n’aime pas la nouveauté
et il rationalise même l’amour, mais il rencontre une femme en chair et en os
et c’est la nouveauté, mais il ne sait pas percevoir l’altérité ; ne pas
laisser place à l’indéterminé c’est cela la catastrophe, et l’apocalypse c’est
la mort égalitaire au contraire de la mort personnelle de chacun.
Finalement l’apocalypse c’est le combat entre le diable qui
est dans le monde, le mal, contre le Messie qui veut advenir. Mais quiconque
verrait les avatars descendre du ciel les tirerait comme un vol de cigognes en
partance de migration, il ne fait pas bon pour qui apporte la Bonne Nouvelle !!
Souvenons-nous encore du tremblement de terre en Haïti, à ces gens, ce nuage dans le ciel tout à
l’heure c’était la poussière de leurs rêves, à ces habitants qui nous ont
arraché l’indépendance en 1804 en chantant la Marseillaise. Ils savent écrire
pour ne pas paniquer et devenir invisible. Ils n’ont pas su prévenir
l’intervention archaïque des dieux, peut-être la faute à leur Vaudou inopérant,
et ils se retrouvent nus après la perte du vernis de la civilisation, toute la
culture semble disparaître, on doute de la terre après avoir douté du ciel, on
se sentait pourtant appartenir au cosmos et plus à une culture. Une leçon pour
nous à vouloir réfléchir le cosmos sans plus vouloir transformer notre monde.
Vous avez cru les voir à la télévision, mais vous n’avez pas
vu la normalité de leur vie qui échappe aux caméras, une manière bien à eux de
faire face au malheur ; ça reste humain
cependant malgré le contact de ce malheur indescriptible. La télévision montre
l’extérieur mais tentez donc de percevoir
l’intérieur, une sobriété réduite à l’essentiel des rapports humains
tournés vers l’aide, tous sont parents car le lieu a été éliminé, ils sont en
utopie désormais, ce qui compte c’est ce qui est dans le moment, comme une promenade délirante au milieu des corps et de
la poussière.
Tout à coup là-bas, personne
ne se sentait plus le plus légitime, ni
le plus riche. L’argent ne servait plus à rien, mais chanter pour tenir
le drame à distance. Le séisme avait tout changé, les fils ont été rompus, le
truand sauve des vies, et le moindre passant semble proche. Les survivants sans
abri ont redécouvert la nuit avec ses étoiles, nos intellectuels redécouvrent
l’art haïtien, la peinture la musique, la littérature ; Malraux avait demandé
pourquoi les Haïtiens regardaient Braque et même faisaient du Braque, c’est
naturel et c’est la voix du peuple. La peinture primitive sans point de fuite
et sans profondeur, mais est-ce que cela seul est vrai ? Un seul plan qui veut
entrer en vous et non qui invite le spectateur à entrer dans le tableau. Voilà
tout simplement la fin d’un monde où nombre de valeurs sont renversées, les
perspectives ont été inversées, et il n’est point besoin de fantasmer une fin
du monde artificielle, mercantile pour faire de la twittérature.
J’appelle maintenant Charles Baudelaire à la rescousse, lui
qui prédisait déjà que le monde allait finir.
L’art philosophique que nous
besognons dans notre café philo, c’est pour faire manifester les choses dans le
langage avec les concepts philosophiques, mais avec des éclairages artistiques,
n’oublions jamais de penser avec la poésie !
L‘œuvre de Baudelaire, très belle évidemment, a été créée au
moment de l’installation du capitalisme, et la poésie à quoi ça sert face au
capital qui ne demande qu’à s’accumuler comme un produit de la sueur des autres
? Rilke, Hölderlin, Mandelstam ça jette non? Baudelaire fait une poésie
pensante comme un théoricien, pas seulement une poésie oraculaire mais aussi
éclairante, à l’épreuve de la vérité comme René Char le résistant. Baudelaire
veut une poésie moderne confrontée avec le moderne, dont le mal qu’il nous sert
en bouquet de fleurs fait naturellement partie, c’est l’ère de la mécanisation
et de la foule. Donc penseur de son temps et créateur, colérique et méchant ;
le monde va finir, devenir industriel, le désordre dans la filiation c’est
no-poétique et donc ça va finir, c’est l’envers des fleurs du mal.
Pour Walter Benjamin, la poésie est pur langage en référence
au texte biblique, toute réalité se manifeste par son essence spirituelle ; le
Paradis c’est quand il n’y a pas de séparation entre les choses et le langage.
Adieu toute médiation et toute trahison du réel par nos représentations issues
du langage!!
Nous avons peut-être cru en cette fin du monde du 21
décembre 2012, nous devrions apprécier le poème par Baudelaire, c’est
l’expérience de la finitude que tout texte essaie de nommer. La « passante »
n’est pas nommée, « un éclair puis la nuit », il la capte par le regard
poétique, comme un peintre, une captation charnelle de ce qui a apparu puis
s’est évanoui, mais c’est accepter le réel,
finalement même la réalité du sentiment amoureux.
Prédécesseur de Baudelaire était Alan Poe ? Baudelaire, lui,
fait irruption, il connait Platon, Pascal, il mélange le style journalistique
prosaïque et le style racinien, il veut créer un nouveau classicisme.
Baudelaire a de la tenue avec des préceptes à la Marc Aurèle et il est même
stoïcien. Baudelaire c’est un événement, on ne peut pas le déduire. Le monde va
finir, c’est-à-dire qu’on va vers un monde sans poésie et décadent, mais pour
qu’existe un monde il faut de la réalité mais il faut aussi de l’imprévu, pas
seulement du déductible, faut de la distance entre la terre et le ciel, quand
la poésie n’existera plus et sera
transparente sans que le langage ne subsiste compliqué, et fait
d’imprévisibilité. La poésie est ce qui ne finit pas, comme la passante du
poème qui n’en finit pas d’arriver, sinon il n’y aurait plus de monde.
Chez Baudelaire il y a le christianisme !! Rien ne l’a
encore remplacé comme vitalité, on s’est rabattu sur le Mal mais hissé aussi
vers le Bien en même temps. La prophétie, le monde va finir, la poésie est une
prophétie, autre chose que ce qui est, le temps est de l’instant puis
disparaît, mais avec la philosophie ne
disparaît pas tout à fait, comment faire de l’événement ?
Platon péjorait la poésie, ce n’était qu’une assomption au
temps et à l’espace présent, mais avec une absence de sens auquel la
philosophie devait suppléer et donner le sens
et l’éternité. Merci Baudelaire, ta passante n’a pas fini de passer ni
le monde de cesser de finir ! Mais nous voulons aujourd’hui agir en expert et
non plus en prophète.
Posséder la science d’une théorie des âges, une intuition
des cycles d’évolution, peut-être est-ce une transposition des âges de notre
pauvre vie individuelle, où la longueur de nos cycles semble décroître à mesure que nous
vieillissons. C’est l’idée de la captation psychologique du temps qui accélère
quand on prend de l’âge, on voit défiler plus rapidement les années, par
opposition à l’enfance où les temps semblent plus longs.
Je tente de me faire peur en intégrant la possibilité d’une
fin du monde ou de la fin d’un cycle, mais je n’y parviens pas et je reste
serein pour deux raisons ; la première est liée aux cycles et à leur durée, car
les Mayas parlaient de 93 millions de temps cyclique pour un temps qui est
pourtant infini ! La deuxième tient à la tradition indienne où je me rends
compte que le cycle comprend quatre âges pour un total de 4.320.000 années !!
Sans compter ce temple des millions d'années sur la rive occidentale de Thèbes qui me donne le même horizon que les dieux. Alors s’il y a une dissolution en fin de cycle, point me chaut, et qui pourrait
prétendre à épuiser le temps et l’espace qui sont en perpétuelle expansion,
même pas les dieux qui ne sont pas éternels en raison des créations et
destructions cosmiques qui se poursuivent à l’infini ; alors, moi, poussière
d’Humanité, comment pourrais-je me confronter à l’infini, même si le temps
patine et s’use vers la fin de l’infini, il se régénérera bien même si c’est
sans moi !!
J’ai même téléphoné à Hubert Reeves qui m’a informé que
l’univers n’est vieux que de 15 milliards d’années, et la terre de seulement
4.5 milliards d’années. L’univers est donc encore jeune et n’aurait apparemment
pas encore parcouru la moitié de son existence ! Le monde aura encore de belles
alternances d’hiver et de renouveau, alors que ma conscience rejoindra bientôt
la matière dans une pirouette d’involution, je ne sais même pas si j’atteindrai
le maximum de pouvoir matériel, ni si je serai témoins de ma phase d’évolution
future, où mes facultés spirituelles seront de moins en moins occultées par
cette gangue de matière dont tout procède, afin de revenir en réincarnation
dans une forme. Je n’ai pas les clés du trousseau du Jugement dernier, ni ne maîtrise mon
karma, et je ne veux pas par dépit souhaiter la fin du monde pour que tous
sombrent en même temps que moi !! Mais en Antoine Blondin cosmique je suis sûr
que tous se précipiteront dans le peloton de tête et que chaque suiveur sucera
la roue du Dharma ou du Samsara dans des échappés vers les podiums du néant. Le
destin a plusieurs tours dans son sac !!
Après 250 fins du monde annoncées et peu avérées, il serait
temps de produire un vade- mecum, un viatique pour la fin du monde, un genre de
« La fin du monde pour les nuls », notamment que tous ceux qui conjecturent,
prévoient, et modélisent, cassent une bonne fois pour toutes l’imprévu, et nous
donnent une grille de lecture afin de reconnaître le passage d’un cycle à un
autre, en nous calculant des « Pi » à 15 ou 16 décimales après la virgule.
Je peux en l’état de mes réflexions, vous donner une clé,
elle est dans ce paragraphe du début du texte que par paresse je reproduis ici
« L’état des lieux post-Sarkozy montre que ce monde dont on craint la fin, est
fait pour les riches décomplexés, la droite décomplexée, c’est-à-dire sans
civilisation, qui affirme que le RSA est de l’assistanat, que le travail n’a
qu’un coût et ne produit pas de richesse, que les Français ne sont pas chez
eux, que la princesse de Clèves de madame de Lafayette ne vous servira pas pour
votre contrat de travail de misère octroyé et à rupture faussement
conventionnelle; ça fracture et ça créé des boucs émissaires, ce discours
s’insinue dans la relation père-fils et
nous n’avons plus l’esprit comme tiers médiateur ».
Le monde va donc finir, la seule raison pour laquelle il
aurait pu durer, était qu’il existait.
Qu’est-ce que le monde a désormais à faire sous le ciel, dites-moi donc ? Nous
nous posons en nouvelles victimes des inexplorables lois morales, et nous
périrons par où nous avons cru vivre. Le peu qui restera de politique après
Sarkozy se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale. La
« Maison de l’Histoire » n’aura pas lieu, la ministre Filipetti l’a déclaré, et
il ne s’agit pas par là d’une prophétie
contre l’histoire qui véhiculerait un travail de vérité. C’est que les hommes
estiment manifestement à tort qu’ils sont sujets de l’Histoire et croient qu’ils commandent, et elle serait exclusivement
l’effet conjugué de leur volonté ! Et vlan ! Baudelaire rabat donc les hommes
sur leur inexorable nature ! Mais je me console, la nature des hommes je ne sais pas ce que
c’est.
Nous changeons de cycle mais dans un grand bond en arrière,
nous apprenons à remonter le temps ! La fin du monde n’est peut-être finalement
que ce désir de retour à l’âge d’or originel. Gérard C……FIN (Fin de texte et
non pas fin du monde !!)